par M. Saadoune
Les pétromonarchies du Golfe seraient-elles derrière le mystérieux Mujao ? L’idée est défendue par certains analystes qui voient, dans les évolutions en cours, une sorte de «joint-venture» entre des «ressources humaines», les services de renseignements marocains et des financeurs du Golfe.
Dans quel but et pour servir quelle stratégie ? On constatera, au moins, que le «dernier-né» de ces mouvements, le Mujao, ne s’est fait connaître que par des actions ciblant l’Algérie, des Algériens ou un mouvement de libération, le Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Cela suffit-il à tirer des conclusions certaines sur ses parrainages réels et son rôle effectif ? Que dire alors de Boko Haram, dont l’action s’étend désormais loin du nord du Nigeria ? Il est clair que ces lectures «expertes» qui ne peuvent être réduites à de simples théories de la conspiration sont, par essence, invérifiables. Car il s’agit «d’éclairer» des enjeux qui sont, par nature, secrets et se situent en arrière-plan.
Dans ce genre de contexte équivoque, les acteurs et dans le cas de la région du Sahel, ils sont particulièrement nombreux ne s’affichent pas tous à la une des journaux ou sur les plateaux de télévision. Les «explications» de spécialistes sont donc nécessairement lacunaires. Ceux qui les fournissent sont, pour une large part, en service commandé pour orienter la «compréhension» des publics et participent ainsi à des entreprises plus vastes. Il peut s’agir aussi d’experts relativement autonomes mais dont les lectures sont orientées, d’une manière ou d’une autre, par les sources qu’ils ne peuvent se permettre d’exposer.
Mais ce qui ressort de cette pléthore d’analyses sur les rôles présumés des services secrets n’est pas anodin et ne se fonde pas exclusivement sur de pures spéculations. La décomposition de l’Etat malien et la déstabilisation de la région sahélienne dans le sillage de la guerre occidentale en Libye ne sont pas des éléments d’intrigue pour roman d’espionnage dans un désert peuplé de terroristes, de trafiquants et d’aventuriers en tous genres. Le potentiel de déstabilisation de ces acteurs «gris» – dont l’action s’est durablement installée sur fond de faiblesse structurelle des Etats de la région – est désormais décuplé par l’afflux d’armes et de capitaux. Il s’agit aujourd’hui d’une zone de conflit qui porte atteinte à l’intégrité territoriale d’un pays voisin, victime de l’impéritie de ses élites politiques mais également des jeux de puissances.
Dans les discours autorisés en Occident, on constate clairement que le Sahel est définitivement placé dans la configuration voisine de celle de la fameuse zone tribale pakistanaise, avec une perspective de «talibanisation». L’idée d’intervention militaire régionale, appuyée par des forces extracontinentales, est en l’air et énoncée de plus en plus intelligiblement. Certains, en Europe et en Afrique, poussent à une intervention militaire de l’Algérie, qui aurait en l’occurrence la «bonne» raison de libérer ses diplomates-otages. L’Algérie, qui aurait «toutes les clefs» de la résolution des problèmes au Sahel, selon l’étonnante formule de l’ex-président Sarkozy, a-t-elle intérêt à déroger à ses principes pour se lancer dans une opération hors de ses frontières ? Ou ne s’agirait-il pas de fourvoyer notre pays dans une spirale guerrière aux évolutions, par nature, imprévisibles ? Dans cette hypothèse, le Mujao, Boko Haram et autres Aqmi ne joueraient-ils pas le rôle de chiffons rouges et de leurres ?
Le Sahel est bien un théâtre d’ombres d’un drame aux contours incertains. Si certains acteurs sont sous le feu de la rampe, d’autres restent plongés dans un clair-obscur qui dissimule efficacement l’intrigue et les scénaristes.
Le Quotidien d’Oran, 05/06/2012