mercredi 14 juillet 2010
L’ancien wali et ex ministre M Isselmou Ould Abdel Kader a présenté récemment, un riche exposé sur les relations franco-mauritaniennes au cours de toutes ces dernières années, s’efforçant de lever les zones d’ombres sur des liens qui, de l’avis des politiciens, sont toujours restés mitigés, se faisant plus sur le compte de la Mauritanie que dans la servitude de ses intérêts comme ex-colonie. Ci-après, l’intégralité de cet exposé, intitulé « aperçu sur l’évolution des relations mauritano-françaises » :
1. Intérêt du sujet dans le contexte actuel.
La Mauritanie s’apprête, comme la plupart des pays africains, à s’arrêter, cinquante ans après leur indépendance, pour évaluer un parcours auquel la France est mêlée de près ou de loin, tout au moins en ce qui concerne l’Afrique francophone.
Il s’agit aussi de faire aujourd’hui, 12 juillet 2010, une rétrospective sur l’évolution des relations entre la France et la Mauritanie à la veille de l’anniversaire de la prise de la Bastille. C’est presque un devoir de rappeler à ceux parmi les Français qui l’ont malheureusement oublié, ce message universel de dignité et de liberté.
Les rapports franco-mauritaniens ont suscité peu de débat depuis l’accession de la Mauritanie à la souveraineté internationale. La contribution de la France à la genèse du nouvel Etat National, puis à sa consolidation et à sa défense, a toujours été reconnue par la majorité des Mauritaniens, y compris les plus extrémistes d’entre eux.
Mais depuis le coup d’Etat du 6 aout 2008 contre le premier président démocratiquement élu, des inquiétudes se sont manifestées. De vastes pans de la société et la plus grande partie de son élite ont exprimé leur crainte même de voir les relations entre les deux pays, subir une certaine « affairisation » pouvant leur porter préjudice à court et moyen termes.
L’opposition qui regroupe de larges milieux traditionnellement francophiles, accusent le gouvernement de M. Nicolas Sarkozy, d’avoir porté au pouvoir et soutenu le général Mohamed Ould Abdel Aziz. Elles soupçonnent même certaines autorités françaises d’avoir, moyennant des avantages bien partagés, sous-traité cette mission en employant des agents de ce qu’on appelle la Françafrique.
Le contexte mauritanien se prête actuellement à des amalgames et des malentendus qui peuvent assombrir les relations entre les forces vives du pays. Ces ambigüités sont dangereuses au cas où la diplomatie mauritanienne continue de patauger dans ses incohérences.
Loin d’être le résultat d’une recherche documentaire soutenue, ces quelques lignes ont pour modeste ambition d’introduire le débat sur le passé, le présent et l’avenir des rapports entre la Mauritanie et la France. Pour rafraichir la mémoire, nous avons joint à la présente note, une liste des principaux événements de l’histoire contemporaine de la Mauritanie.
2. Les principaux enjeux des étapes de l’histoire du pays.
La Mauritanie a été taillée dans un vaste ensemble humain et culturel ayant de nombreux rapports avec son environnement et formant une entité hétérogène aux contradictions potentielles faciles à utiliser à des fins de déstabilisation.
En dépit son caractère éphémère que renforce sa faible densité démographique, la Mauritanie a pu donner d’elle, grâce au charisme de ses premiers dirigeants, une idée sans rapport avec la dimension réelle de ses ressources. Ce fut pendant 20 ans, l’époque d’une grande ambition à laquelle mit un terme, en 1978, le premier d’une série de coups d’Etat militaires qui continue jusqu’à nos jours. Cette période initiale avait suffi, à forger un type de mauritanien à la fois assoiffé de changement et de liberté mais aussi versatile et capable d’une soumission sans limite.
L’acquis de cette époque a été très important malgré tout. Le pays s’est doté d’une élite imbue d’une éthique héritée d’une hiérarchie sociale ancienne mais rassurante, un secteur économique faible mais construit sur de solides bases éthiques et un groupe de bons cadres issus d’un système d’éducatif performant.
Ce qui intéressait l’ancienne puissance administrante dans un premier temps, c’était de voir les Mauritaniens apprendre à gouverner un Etat National à peine sorti des ruines des entités émirales qui se livraient la guerre avant la pénétration coloniale. La France disposait en plus des mines de fer et empêchait le Maroc de s’adjoindre son ex-colonie et de s’étendre jusqu’aux portes du continent noir.
L’histoire du pays se subdivise en quatre étapes dont les objectifs centraux ont différé tout en ayant pour toile de fond commune, le souci d’un équilibre entre plusieurs exigences contradictoires.
3. Principaux coups d’Etat en Mauritanie, enjeux et traits communs.
Les coups d’Etat que la Mauritanie a déplorés ont été plus ou moins liés aux enjeux évoqués plus haut.En 1978, la guerre du Sahara avait commencé à menacer l’existence du pays. L’Armée était essoufflée pour de nombreuses raisons qu’il serait superflu de mentionner.
La France ne pouvait ni continuer à soutenir la Mauritanie en donnant à l’Algérie un alibi pour internationaliser le conflit, ni laisser le Maroc assumer cette tâche et ouvrir des perspectives géostratégiques touchant les intérêts français. Quelles qu’aient été l’affection et l’admiration qu’on avait pour le Président Moktar Ould Daddah – et les méritait- le coup d’Etat de 1978 fut salutaire pour la Mauritanie.
Cette action pouvait avoir lieu sans aucun appui extérieur, mais en étant menée uniquement par d’autres officiers- et c’est toujours le danger dont on ne tient pas souvent compte- elle engendrerait de graves conséquences pour la Mauritanie. Ce n’est pas seulement le risque de dérapage d’un nationalitarisme incontrôlé qu’il aurait fallu craindre, mais aussi celui de la guerre d’influence entre les voisins du nord.
La France l’avait bien compris en envoyant cinq semaines avant le 10 juillet, date du putsch le conseiller pour les affaires africaines du président Giscard d’Estaing pour s’informer de la situation. En 1979, la France avait laissé le colonel Bouceif éliminer Moustapha Ould Mohamed Salek après avoir écarté le comandant Jeddou Ould Salek réputé proche du groupe bassiste. Puis l’élimination de Bouceif qui s’était avéré sympathisant du Maroc avait été opérée de la manière qu’on connait.
Après son accident d’avion Bouceif fut remplacé par Mohamed Khouna Ould Haidala qui, aux yeux de la France, était le seul à avoir non seulement l’audace mais surtout le désir de faire replier du territoire mauritanien, les bases militaires marocaines. Ni Viah Ould Mayouf, ni Mohamed Mahmoud ould Ahmed Louly, ni Ahmed Salem Ould Sidi, ni Cheikh Ould Boidda Mohamed Ould Abdel Kader qui étaient tous plus gradés que Haidala, n’auraient eu une réelle motivation à chasser les troupes chérifiennes.
En 1984, le pays était délabré au terme d’une gestion chaotique. Beaucoup de Mauritaniens étaient en prison ou en exil. Dés mains étaient coupées en application de la charia, des femmes lapidées sur la voie publique, des analphabètes en procédure étaient recrutés comme magistrats, des profanes transformés en gestionnaires des populations, des lois sans aucun rapports avec la réalité historique, culturelle et sociale étaient promulguées.
Il fallait mettre fin à cette dégradation de l’Etat et à sa ruralisation systématique qui aurait pu être plus dangereuse n’eût été l’intégrité morale de Mohamed Khouna Ould Haidala, à l’époque chef de la junte militaire. Ce ne fut un secret pour personne que le Général Jano Lacaze, chef d’Etat Major de l’Armée française, avait tout arrangé avec Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya, auteur du coup d’Etat du 12 décembre 1984.
En 2005, le régime de Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya était essoufflé par vingt ans de pouvoir sans partage. Le système démocratique était en panne à cause du manque de réformes politiques dont l’Etat avait urgemment besoin. L’appareil de l’Administration à tous les niveaux était rongé par la corruption, la prévarication, le clientélisme, le népotisme et tous les autres maux qui tuent même les Etats solides. Depuis la tentative de prise de pouvoir du 8 juin 2003, on commençait à avoir peur de voir l’Armée se scléroser et se transformer en milices.
Tous ces coups d’Etat ont eu des traits communs qui rassuraient plus ou moins les Mauritaniens en percevant derrière eux une main qui leur a toujours inspiré confiance malgré tout :
4. Le coup d’Etat de 2008 : comment Ould Cheikh Abdellahi a été déstabilisé ?
La stratégie utilisée pour déstabiliser le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, premier président mauritanien démocratiquement élu, a consisté en plusieurs étapes.
Nous ne l’excuserons pas pour autant d’avoir fait confiance à certains hommes dont la compétence et la moralité sont, pour le moins sujette à caution. Pour celui qui a déjà observé la Mauritanie, M. Sidi Ould Cheikh Abdellahi est la dernière personne à pouvoir être fondamentaliste musulmane. Fils de grand cheikh de la soufia, il est soufi lui-même de naissance, de conviction et d’occupation quotidienne.
Pour celui qui connait l’islam, le soufisme est le plus redoutable ennemi du wahhabisme dont L’imam Khomeyni avait dit un jour qu’il vide l’Islam de toute sa spiritualité. Toute personne imbue de culture africaine sait que la confrérie Tidjaniya qui domine toute l’Afrique Occidentale, repose sur une dimension presque exclusivement spiritualiste qui ne saurait survivre à la sécheresse du wahhabisme.
Nous avons observé Sidi Ould Cheikh Abdellahi depuis son éviction du pouvoir et nous n’avons constaté aucun contact entre lui et la formation islamiste Tawassoul qui a d’ailleurs choisi de soutenir le camp d’Ould Abdel Aziz. Par contre, le président déchu pour raison d’intégrisme wahhabite a fait plusieurs fois le pèlerinage à Kaolack, pour se recueillir sur le tombeau de son Maitre confrérique, le sénégalais Cheikh Ibrahima Niass. Or, ce geste constitue aux yeux des intégristes de toute obédience un sacrilège impardonnable.
Telles sont les étapes suivies par les conseillers occultes de certaines chancelleries pour replonger la Mauritanie dans la nuit dont elle sortait à peine après trente ans de dictature militaire. Etait-ce pour l’intérêt de la France ? Lequel ?
5. L’ingérence française ?
En lisant ces quelques lignes, certains diront que je suis allé vite en besogne en établissant sans preuve l’ingérence de la France dans le coup d’Etat contre la démocratie en Mauritanie. Peut-être ont-ils raisons, mais ils ne sauront nier certains faits parlants.
M. Bourgi s’est affiché aux meetings du général candidat et élu domicile chez l’homme d’affaire qui soutient à fonds perdus Mohamed Ould Abdel Aziz.. En étant d’origine libanaise, témoin de la concurrence que les commerçants mauritaniens ont livrée aux siens dans toute l’Afrique Occidentale, Maitre est susceptible d’avoir peu d’affection pour certaines personnalités de l’opposition qui ont soit réclamé, soit créé la monnaie mauritanienne.
Cette dernière fut en partie à l’origine du départ de Nouakchott de nombreuses entreprises libanaises.
La Mauritanie a besoin d’autres choses que les armes et les troupes étrangères, à moins qu’on ne veuille la transformer en champ magnétique attirant tous les terroristes de la sous-région. Elle fait face à des problèmes sérieux qu’il faut urgemment réparer et risque de payer cher ses errements diplomatiques à la recherche de légitimité à tout prix.
6. Le contexte mauritanien : des ruptures et des schismes.
Le coup d’Etat du 6 aout 2008 est intervenu dans un contexte mauritanien qui continue d’être marqué par trois ruptures douloureuses que toutes les forces politiques du pays doivent prendre en considération.
La dépréciation de l’environnement institutionnel, administratif et éthique est d‘autant plus grave que des antagonismes latents risquent de mettre en cause la cohésion sociale et nationale du pays.
On le constate, la faiblesse des ressources humaines face aux problèmes qui se posent au pays n’a d’égal que le tiraillement dont il est l’objet comme tout territoire qui menace de disparaitre. La diplomatie mauritanienne est actuellement le champ privilégié des paradoxes. Les prouesses les moins surprenantes consistent à mettre dans le même panier MM. Ahmedy Nejad et Nicolas Sarkozy, Hugo Chavez, Oumar El Béchir, Mouammar Kaddafi, Abdoulaye Wade etc.
Les narcotrafiquants afro-latino-américains intègrent la Mauritanie dans leur empire grâce à la françafrique proche de leurs groupes installés sur la côte ouest africaine pour installer en Guinée Bissau, au Sénégal et en Mauritanie des gouvernements à leur guise.Dans ce circuit, notre pays est le point le plus stratégique parce qu’il permet de mélanger l’encens des armes, l’arome de la cocaïne et la fumée de la cigarette.
Mais il n’y a pas que les intérêts matériels qui font courir ceux qui cherchent à faire de la Mauritanie, un laboratoire pour leurs délices ou leurs folles idées. Certains courants idéologiques orphelins cherchent à trouver un pays à faire sombrer et un dirigeant à sacrifier en la personne de Mohamed Ould Abdel Aziz. L’homme ressemble bien à d’autres qui ont été ou sont encore admirés pour leur faculté d’improviser les spectacles.
Même le chiisme s’investit chez nous, bien que nous soyons une chasse-gardée du sunnisme malékite. Le chiisme commence à se répandre au Sénégal. En Mauritanie, les éléments prétendant être de descendance chérifienne, ont déjà mis en place une large association dénommée Al Elbeit ou famille du Prophète Mohamed (psl). Cette association a pour but de servir de relation organisationnelle avec les dirigeants spirituels iraniens.
La plus importante force demeure cependant la Françafrique qui semble avoir retrouvé sa virginité et ses beaux jours en Mauritanie grâce à l’esprit fort charitable de certains éléments de l’équipe actuellement réunie autour de M. le Président Nicolas Sarkozy.
7. Les grandes priorités du moment.
Si la France tient à préserver ses intérêts à long terme et restaurer son image en Mauritanie, du moins celle de ses principaux dirigeants actuels, elle doit se ressaisir d’urgence et revoir intégralement son approche en matière de coopération avec ce pays. Son influence, si elle en a encore doit se focaliser sur la prise en compte des priorités consistant à
En Mauritanie, la préservation et la consolidation des acquis démocratiques sont la priorité des priorités. Toutes les forces politiques proches ou éloignées du Pouvoir en place doivent percevoir cette réalité et en tenir compte dans la recherche de formule permettant à chacune de bien jouer le rôle qui doit être le sien dans une démocratie.
Le problème qui se pose est de savoir si la Françafrique peut s’accommoder de ce système en Afrique dont elle traite les peuples de sauvages et de génétiquement incapables de tolérance. C’est une vieille théorie que certains idéologues néocolonialistes propagent pour maintenir sur le continent noir des régimes corrompus qui échappent au contrôle parlementaires et judiciaire.
Les Mauritaniens ne sont pas opposés à des relations privilégiées avec la France. Cependant ils sont et ils seront toujours contre une coopération affairiste, passant au dessus des institutions des deux pays, une coopération par des voies et des procédés officiels et non à travers les valises insolites.
Au plan militaire, une assistance réellement protectrice, doit être conçue dans un cadre conventionnel clair, approuvé et contrôlé par les structures représentatives des deux peuples.
Sans cela, une présence militaire exposerait les fils des Françaises et des Français à de graves dangers. Les Mauritaniens les considéreront comme un corps qui leur est imposé et ne sauront distinguer entre des troupes de l’Armée française et des mercenaires au service du régime ou de l’un de ses supporteurs privés.
Principaux événements de l’histoire contemporaine de la Mauritanie :
Le premier contact direct entre l’entre les habitants d l’espace mauritanien actuel et la puissance coloniale a lieu le 16 juin 1898, à Bassikounou où débarque un escadron de l’armée coloniale venant de Mopti.