« La Tunisie en proie au démon du terrorisme »

La récurrence ne pouvait échapper ni aux Tunisiens ni aux Français. L’attentat de Rambouillet perpétré par un immigrant tunisien a vite fait de renvoyer à celui de Nice où là encore un Tunisien s’était rendu coupable d’un acte terroriste à grande échelle, un certain 14 juillet, une date chère aux Français

Yves Thréard, éEditorialiste, directeur adjoint du Figaro, par delà les actes terroristes, a entrepris d’analyser l’écosystème même du terrorisme en soulignant que « le nom de l’actuel président de l’Assemblée nationale tunisienne, Rached Ghannouchi, evient souvent dans les débats sur la radicalisation des jeunes. Âgé de 80 ans, ce proche de feu l’ayatollah Khomeyni, des Frères musulmans et de la Turquie d’Erdogan, est le chef d’Ennahdha, parti qui est au cœur du paysage politique tunisien, même s’il a perdu des voix ».

Et l’éditorialiste de remuer quelques souvenirs : « Exilé à Londres avant de retourner dans son pays en 2011, il [ Rached Ghannouchi] est accusé de jouer un rôle ambigu, en dépit de son allégeance proclamée, il y a peu, à la démocratie. C’est l’un de ses militants, Tarek Maaroufi, qui avait recruté à Bruxelles les deux assassins de Massoud ». Condamné en Belgique, Maaroufi sera accueilli à sa sortie de prison en héros à Tunis. Lui, Ghannouchi et d’autres exerceront un rôle important, après la « révolution du jasmin » de 2011, pour pousser les jeunes vers le djihad. Leur prosélytisme est relevé par des services et observateurs étrangers. Jacob Wallas, ambassadeur américain en Tunisie de 2012 à 2015, n’hésitera pas à affirmer, lors d’une conférence organisée en 2018 : « Je tiens à souligner la tolérance initiale des activités djihadistes par le gouvernement de l’époque. Le parti Ennahdha avait défendu le dialogue avec les djihadistes. » En fait, la vague de libération postrévolutionnaire a jeté dehors nombre d’individus fanatisés.

Yves Thréard rappelle qu’une commission parlementaire tunisienne a été créée en 2017 pour trouver des parades à la radicalisation d’une partie de la population. Sans suite. Après l’assassinat de Samuel Paty, en octobre dernier dans les Yvelines, le député islamo-populiste Rached Khiari a écrit sur sa page Facebook : « Toute atteinte au prophète Mahomet est le plus grand des crimes. Tous ceux qui le commettent doivent assumer ses retombées et répercussions. » Propos qui ont provoqué une vive polémique et qui lui valent maille à partir avec la justice de son pays. Sur Facebook, l’assassin de Rambouillet suivait assidûment l’actualité de Rached Khiari, dont il était fan, mais aussi les déclarations indignées de Jean-Luc Mélenchon sur l’islam en France. La jeune démocratie tunisienne, si singulière dans un monde arabo-musulman sens dessus dessous, pourra-t-elle encore résister longtemps à la pieuvre islamiste qui la mine de l’intérieur et se propage partout en France et en Europe ? »

Sous l’influence de « sergents recruteurs » !

Le magazine Jeune Afrique a également abordé l’attentat de Rambouillet, mais sous la forme d’une interview avec Mustapha El Haddad, auteur de « L’Embrigadement des jeunes pour le jihad, le paradoxe tunisien », qui a décrypté l’évolution du phénomène jihadiste à la lumière de cet attentat.

Il affirme qu’ « en général, ce type d’opération est effectué par des personnes isolées et fragiles. Il semble que Jamel Gorchene ait été dans ce cas de figure. Mais il est rare que l’auteur soit aussi âgé – près de la quarantaine –, les attentats étant perpétrés par des hommes plutôt jeunes. Les personnes les plus fragiles qui vivent à l’étranger dans un cadre différent de leur milieu d’origine subissent de nombreuses ruptures, aussi bien affectives et culturelles que sociales ».

Sur la question de savoir s’il s’agit d’un « loup solitaire », il rappelle que « : Les actes de terrorisme perpétrés ces dernières années en Europe sont d’une nature différente de celle du phénomène inédit d’embrigadement de jeunes enregistré entre 2012 et 2015 au profit des insurgés syriens. Mais en ce qui concerne les attentats réalisés ces dernières années en Europe, la thèse du « loup solitaire » est écartée par plusieurs analystes.

Le passage à l’acte est plutôt commis sous l’influence de « sergents recruteurs », à travers les réseaux sociaux (surtout en Europe) et des lieux de culte dont plusieurs ont été investis par des islamistes radicaux. Au vu du niveau sécuritaire observé en France et plus généralement en Europe, les profils choisis sont précisément ceux qui passent sous les radars : les autres sont trop connus, souvent suivis, ou en tout cas repérés. Nous devons également rappeler qu’en Europe, les Tunisiens ont malheureusement pris une part importante dans les attentats isolés, à Nice, Berlin, Marseille et Paris ».

À court terme, conclut-il, « il faudrait que les autorités lèvent l’omerta sur les milliers de jihadistes tunisiens – plus de 5 000, selon l’ONU – qui ont quitté le pays et attendent de revenir. Que vont-ils devenir ? Comment seront-ils traités ? L’enjeu est d’ordre régional et dépasse la Tunisie. Ce phénomène inédit a concerné plus de cent pays et des milliers de personnes. Pour en revenir à la Tunisie, il ne faudrait pas différer la mise en place d’une commission indépendante pour rendre justice aux parents qui ignorent le sort de leurs enfants embrigadés ».

African Manager, 27 avr 2021

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