Quand l’Algérie s’éveillera…

Etiquettes : Algérie, indépendance, développement, puissance, poids, leadership,

Par Kamel Baddari(*)

L’Algérie se départ de sa convalescence. Son économie et son industrie et ce qu’elle a de plus profond ont été torpillés pendant les «30 odieuses», de 1990 à 2018. Aucun autre pays n’aurait résisté à toutes les attaques de tout ordre menées aussi bien de l’intérieur par des fanatiques et des corrompus, que de l’extérieur par des individus à desseins pernicieux, cherchant l’effondrement de l’État. Avec le redéploiement de son potentiel laissé en friche pendant la triste période indiquée, il ne fait aucun doute que l’Algérie sortira de sa convalescence et deviendra une puissance avec laquelle il faudra compter car ses atouts, aussi bien géopolitiques, qu’humains ou économiques, sont exceptionnels. L’Algérie n’est pas n’importe quel pays ou comme certains voudraient l’inscrire dans l’accablant statut d’un État qui serait né et tracé de supputations coloniales. Ils se trompent lourdement. Que ceux-là jettent un coup d’œil sur l’histoire pour se faire une idée précise de quoi est faite l’histoire de l’Algérie et de son peuple. Un pays plusieurs fois millénaire qui est resté dans l’harmonie aussi bien génétique que sociologique malgré les nombreuses invasions et occupations qui l’ont traversé depuis le peuplement de ce territoire par un peuple archaïque ayant traversé le Nil il y a 25 000 BCE (Before Common Era ou avant J.-C.) environ. Certaines de ces invasions sont historiquement bien connues, d’autres un peu moins, mais qui, in fine, ont forgé un peuple merveilleux à la croisée de plusieurs civilisations aussi bien berbère, méditerranéenne, afro-asiatique qu’arabe.

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Bref rappel de l’origine des Algériens

Les sites archéologiques découverts au Sahara, les Haut-Plateaux et l’Oranie, sont des preuves que l’actuel territoire de l’Algérie fut l’un des berceaux de l’humanité. Pour raison d’espace limité, je ne remonterai pas au début de l’histoire commençant par les Ibéromaurusiens. Ainsi, vers l’an 10 000 et 6000 BCE (Before Common Era ou avant Jésus- Christ), une province allait se construire couvrant l’Ouest tunisien et l’Est algérien occupée par les Capsiens (terme dérivé de la ville de Gafsa en Tunisie ou Capsa en latin). Les Capsiens sont des Méditerranéens métissés de noirs et seraient à l’origine des Berbères d’aujourd’hui. Les Capsiens typiques se rencontraient initialement à l’ouest de la Tunisie jusqu’à la province d’Ouled-Djellal, dans la région de Biskra (ceci corrobore le reportage sur l’origine des Djellalis de Ahmed Rouadjia, professeur de sociologie à l’université de M’sila). Par la suite, l’Algérie allait subir d’autres invasions, y compris d’Afrique noire. Au IVe siècle BCE, l’Afrique du Nord (ou le Maghreb) subit l’influence économique et politique de Carthage (invasion phénicienne venue de l’actuel Liban et de la Palestine), et au IIe siècle BCE, l’Algérie s’est stabilisée avec un royaume berbère appelé la Numidie peuplée d’Imazighs parlant le berbère et le punique où des rois ont successivement régné (Syphax, Gaïa, Massinissa, Jugurtha, Juba 1er et 2), mais aussi des reines (Tin-Hinan, Dihia appelée la Kahina) et créèrent un Etat puissant à la civilisation originale. Ce royaume vit se succéder plusieurs invasions, romaine, vandale et byzantine. Les Arabes, les derniers à y rentrer, ont clôturé la série. Plus tard, la vague ottomane a amené les Janissaires (originaires de l’Europe de l’Est) et des Andalous apportant du sang européen dans les veines de la population.

Ces invasions ont eu un impact significatif dans les caractéristiques génétiques et ethniques de la population amplifiées par la vague des Banou Hillal au XIe siècle. Les Guanches (Berbères habitant les îles Canaries, apportés en Algérie par les fermiers d’Anatolie) et à un degré moindre les Italiens et les Yorouba (Afrique de l’Ouest : Nil et Éthiopie) ont eu une influence sur la formation de la population maghrébine (d’après le récit de A. Hemmami).

Ce résumé lapidaire montre que l’Algérie est un pays à la croisée de plusieurs mondes : le monde berbère, le monde méditerranéen, le monde arabe et le monde africain. Aucun autre peuple dans le monde (avec les Tunisiens et les Marocains) ne peut se prévaloir d’une telle richesse.

Comment a-t-on pu en arriver là ?

Voilà une question qui taraude l’esprit des Algériens authentiques mais dont il est difficile qu’elle reçoive, aux yeux de tous, des réponses satisfaisantes du fait qu’elle est de l’ordre de la réflexion.

En guise de préambule, je dirais que l’Algérie est demeurée atone sur la scène internationale jusqu’à une certaine date. Il n’en a pas toujours été ainsi : dans les années 1960 et 1970, porté par l’aura et la dynamique de sa révolution, le pays occupait alors une place importante et reconnue que ce soit aux Nations Unies, dans le Tiers-Monde ou au sein des pays dits non-alignés. Sa voix comptait dans l’échiquier international, mais elle a commencé à s’éteindre durant les années 1980 en raison des luttes idéologiques délétères, de paramètres économiques défavorables et de l’exacerbation de la dissension entre les tenants du pouvoir et les autres qui voulaient le conquérir. Sa voix est devenue malheureusement inaudible durant les «30 odieuses» de 1990-2018 pour des raisons de terrorisme qui a duré une dizaine d’années (1990-1999), et d’une gestion désastreuse des affaires publiques du pays de 2000 à 2018. À ce propos, on ne peut nier les nombreuses réalisations dans nombre de domaines de la société, mais qui sont demeurées insuffisantes eu égard aux immenses possibilités du pays à cette époque.

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En 1990, le pays avait un PIB deux fois plus que celui du Singapour, et dix fois plus que celui du Vietnam. La courbe semble s’être inversée depuis ! En 2018, le PIB du Singapour est deux fois plus important que celui de l’Algérie, celui du Vietnam est une fois et demie supérieur (Source : Banque mondiale). C’est le mouvement populaire du 22/02, dénommé Hirak, né au début de l’année 2019, qui a délié le pays des mains de ceux qui étaient à l’origine de sa déchéance économique et sociale.

Comment donc un peuple valeureux, à la croisée de plusieurs civilisations, résilient et affable, se retrouve dans une situation délétère où des jeunes, hier fiers et talentueux, aujourd’hui pessimistes et ne cultivant plus les pensées positives, hier travailleurs et jaloux de leur pays, aujourd’hui cossards, adeptes de la posture victimaire et parfois indifférents du sort qui peut être réservé à leur pays ?

L’accumulation des frustrations depuis les années qui ont suivi l’indépendance, sans qu’elles aient trouvé les bons remèdes de la part des gouvernants, aggravées par le manque de pensées positives d’une frange de la population, ont précipité le pays dans la situation qui prévalait jusqu’en 2019. Citons à ce propos quelques variables explicatives à l’origine de ces frustrations. La gestion des affaires publiques qui, jusqu’en 2019, ne bénéficiait pas, dans bien des cas, de la confiance de la population pour des raisons diverses (Assemblées et Sénat controversés, lois affichées et non appliquées…).

Au niveau économique, la distribution des richesses s’est faite aux dépens de l’industrialisation du pays. «Le trop social» a prédominé, ajoutez à cela une classe arrogante qui s’est accaparée d’une partie des richesses du pays. La loi de Pareto des années trente, en Italie, correspond parfaitement à cette distribution. Du point de vue culturel, les salles de cinéma et de théâtre, lieux où se forgent la personnalité et l’ouverture de l’esprit, ont pour la plupart disparu. L’urbanisme, laissant perplexe, défigure la beauté du pays au ciel bleu. Beaux et quasi abandonnés, des vestiges historiques qui témoignent de l’existence millénaire de l’Algérie sont en état de friche par manque de prise en charge.

Dans bien des cas, le nouvel urbanisme laisse pantois. Agressif, il est caractérisé par des vestiges non achevés, sans goût particulier défiant toute norme urbanistique. Les cités nouvellement construites reçoivent des appellations repoussantes. Elles sont baptisées par le nombre d’appartements dans la cité ! Il n’y en a pas cent qui portent le nom de fleurs, d’arbres, de martyrs, de scientifiques, d’écrivains, de journalistes, de religieux, de sportifs… qui ont fait la grandeur du pays.

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L’école, dont le rôle est d’apprendre au citoyen de différencier entre le bien et le mal, peine à assurer convenablement ses missions. La politique d’arabisation a été faite sans attachement sincère à la langue arabe, laissant se développer une pseudo-langue parlée formée d’un mixage d’arabe et de français qui empêche le développement de la langue arabe et l’acquisition des autres langues. Le pays réserve une part importante de son budget aux secteurs sociaux et à la protection du citoyen mais le chômage des jeunes reste important en raison de l’insuffisance d’entreprises capables de recruter et du manque d’esprit entrepreneurial chez les jeunes malgré les dispositifs d’emploi et de création d’entreprises mis à leur disposition. Ceci étant dit, force est de constater que la colère sociale est omniprésente dans plusieurs villes du pays : fermeture des routes par les citoyens pour le raccordement au gaz naturel, le manque de transport scolaire dans les zones d’ombre, l’assainissement… Ces manifestations, en dehors de leur aspect politique dans bien des cas, sont la conséquence d’un manque d’écoute de l’administration locale, de clarté et de cohérence dans la gestion des biens publics.
Ces quelques réflexions sur le «pourquoi a-t-on pu en arriver là», que le sociologue saura valoriser, montrent la complexité de la situation dans laquelle se trouve le pays.

Des atouts exceptionnels

Si les atouts que possède l’Algérie venaient à être valorisés à leur juste mesure, ils feraient du pays une puissance incontestable en raison de sa position géostratégique unique, de l’énorme potentiel de son économie, de l’engouement de sa jeunesse, de son territoire qui fait d’elle le plus grand pays d’Afrique et de la Méditerranée et le dixième au niveau mondial, de sa position géostratégique à la croisée du monde arabe, de l’Afrique et de l’Europe, de l’étendue de ses côtes avec la Méditerranée (1200 km), de da position géographique (elle est limitrophe à sept pays : Tunisie, Libye, Niger, Mali, Mauritanie, Sahara occidental et le Maroc). Ces atouts feront d’elle une véritable puissance politique et économique capable d’agir de façon décisive en faveur de la paix, et de s’intégrer dans la globalisation pour multiplier ses échanges commerciaux et économiques avec tous les continents. Sa population est également très jeune. Les jeunes de moins de 35 ans représentent les 2/3 de sa population, souvent de niveau universitaire car, chaque année, l’enseignement supérieur délivre plusieurs centaines de milliers de diplômés. Certains ont même constitué une diaspora souvent bien formée qui fait le bonheur des laboratoires de recherche étrangers et qui garde un attachement au pays d’origine. Si le pays ne s’adosse à l’étape actuelle que sur les hydrocarbures, la tendance est vers la diversification. Il possède d’autres filières qui ne demandent qu’à être valorisées comme les énergies vertes qui forment le plus grand gisement solaire du bassin méditerranéen, l’agroalimentaire, l’agriculture, l’élevage, la pêche, le tourisme…

L’Algérie compte par ailleurs de véritables entrepreneurs qui portent une réelle volonté de réforme et de progrès, capables de transcender les obstacles pour transformer la face de l’Algérie dans le respect des lois de la République.

L’Algérie à travers quelques agrégats

Laissons les chiffres parler. Le pays possède le deuxième plus long réseau autoroutier après l’Afrique du Sud. Il possède l’un des réseaux de chemin de fer les plus développés d’Afrique qui s’étend sur 4 498 km parcourant le sud, le nord, l’est et l’ouest du pays, et possédant plus de 350 km électrifiés (source : site SNTF). L’Algérie est le pays le moins inégalitaire en Afrique (source : Pnud-2019). L’Algérie est le pays le plus avancé d’Afrique à l’Indice du développement humain (source : https://www.populationdata.net/palmares/idh/afrique/2019).

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À noter au passage que cet indice de synthèse «mesure la longévité, la santé, le niveau d’éducation, le niveau de vie, l’inégalité entre les genres». L’Algérie est fière de son armée qui est la deuxième puissance militaire d’Afrique (source : Global Fire Power – 2021) disposant d’une puissance de frappe considérable, consacrée à la défense du territoire national.

L’Algérie avec ses immenses ressources et son vaste désert, qui sera à l’avenir le centre du monde dans les énergies renouvelables, aspire à devenir la plaque tournante politico-financière de l’Afrique grâce aux relations d’amitié et de fraternité tissées depuis les années 1950 avec les pays africains, consolidées en juillet 1959 par la première reconnaissance de facto de la lutte armée des Algériens par le Ghana.
Le secteur du tourisme est considérable et promoteur. Avec des reliefs, des forêts, des montagnes, des côtes aux vues imprenables, le plus beau Sahara au monde, plus de 200 sources thermales (certaines datant de l’époque romaine), de nombreux sites d’intérêt culturel ou historiques plusieurs fois millénaires, etc., le secteur du tourisme est particulièrement révélateur et pourtant, il est sous-exploité. Il représente 5,7% du PIB en 2019 (source : https://wttc.org/Research/Economic-Impact), avec un impact financier pour l’Algérie de 24,5 milliards de dinars en 2019, représentant 0,5% du total des exportations algériennes, selon la même source. L’Algérie pourrait devenir la première destination au Maghreb en matière de tourisme si elle mettait les bouchées doubles dans la formation en matière d’accueil et de management des établissements hôteliers et touristiques, la rénovation des structures existantes…

Alors, que faire ?

Il y a plusieurs défis qui demandent à être relevés simultanément : la diversification de l‘économie pour réduire l’indépendance du pays à la rente pétrolière, l’investissement dans la recherche pour s’approprier les nouvelles technologies, l’investissement dans l’industrie d’avenir, la sauvegarde de l’environnement, le changement politique sans l’effondrement de l’État, la refonte de l’école et de l’administration, l’espoir pour les jeunes et du vivre-ensemble dans la diversité. Il faut être à l’écoute des véritables préoccupations de la population pour assumer, ensemble, le passage entre le passé et l’avenir, glorifier l’histoire du pays qui a émerveillé le monde et valoriser les représentations associatives et politiques. L’adossement du pays sur ses jeunes est capital. Il faut, pour que cela soit perceptible, trouver les meilleurs médiateurs pour organiser le dialogue. En bref, il faut créer tout ce qui peut permettre suffisamment d’attachements sincères au pays. L’Algérien est un individu comme tout autre individu. Il aspire à une vie paisible. Il rejette le renfermement sur soi, la xénophobie, l’arrogance. Enfin, il faut dépasser les passions et œuvrer pour le renforcement de relations vraies, claires et cohérentes, de fraternité et de coopération sincères avec la France; pour peu, bien entendu, que l’autre partie, la France, se débarrasse de ce sentiment qui lui colle à la peau en prétendant que l’Algérie est une propriété éternelle.

L’Algérie a besoin de la France et réciproquement. Il y a en France une population d’origine algérienne estimée à plus de cinq millions, soit une population qui avoisine celle de la Finlande ou de la Norvège, et elle est plus importante que celle de l’Irlande ou de la Mauritanie.

Conclusion

À titre conclusif, il y a lieu de préciser que le titre de la contribution — «Quand l’Algérie s’éveillera…» — vient d’une phrase «prophétique» attribuée à un empereur français : «Laissez donc la Chine s’endormir, car lorsque la Chine s’éveillera le monde entier tremblera.» D’autres affirment qu’elle aurait été inventée pour un film, Les 55 jours de Pékin, sorti en 1963 (Wikipédia : Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera), une fresque mettant en jeu des boxeurs, l’impératrice de la Chine et les ressortissants étrangers.

Cette contribution en deux parties a rappelé l’histoire millénaire de la population algérienne et mis en relief les limites des politiques de développement du pays suivies jusqu’en 2019, particulièrement durant les «30 odieuses». Elle a aussi mis en relief les immenses possibilités du pays en matière d’énergie, d’agriculture, de tourisme… et la disponibilité de ressources humaines qualifiées, capables de les traduire en autant d’atouts de nature à lui permettre de trouver les meilleures voies de sortie de cette situation qui n’aurait jamais dû se produire. Il y a un pays à construire. Il faut assumer le passé sans le dévoyer et se projeter vers un avenir meilleur et profitable à tous les Algériens. Sa jeunesse, fougueuse et attentive, n’est jamais aussi bonne que lorsqu’elle est mise au défi… La mobilisation des Algériens pour un idéal commun est indispensable.

Le nouveau pouvoir algérien du 12 décembre 2019 est, sans controverse, animé de la volonté d’aller vers la modernité, vers autre chose, vers la libération des énergies. Il lui revient de faire sienne la lourde tâche pour que la patrie se réconcilie avec elle-même en assumant ses origines berbère, arabe et islamique qui ont façonné son identité, ses luttes et son passé révolutionnaire qui ont émerveillé le monde, sa religion représentée par plus d’un milliard d’individus dans le monde, ses minorités ethniques et religieuses indispensables à la cohésion du pays, ses terroirs immensément riches et variés, ses langues maternelles et officielles parlées par des centaines de millions… Ce serait la meilleure manière de cultiver la fierté et l’attachement au pays. Ce n’est pas une tâche aisée mais avec la vertu, la persévérance, la sincérité et la volonté, les sommets des montagnes les plus abruptes seront à portée de la main.

Le Soir d’Algérie, 23 mars 2021