La Tunisie aux portes de la troisième vague !

Après quelques semaines d’accalmie, la situation épidémiologique a connu une nouvelle détérioration ces derniers jours. Le nombre de nouveaux cas connaît une hausse inquiétante après avoir connu une baisse début mars 2021. Simultanément, les hôpitaux ont connu une augmentation du nombre de patients après une certaine accalmie au cours du mois de mars mettant une grande pression sur notre système de santé.

Plusieurs analystes et spécialistes soutiennent l’hypothèse que cette résurgence dangereuse du virus est le résultat de l’arrivée des nouveaux variants dans notre pays, particulièrement le variant britannique avec une vitesse de contagion et de propagation très élevée.
Le discours officiel ne cesse de mettre l’accent dans les moyens d’information sur la responsabilité des citoyens dans la dégradation de la situation épidémiologique du fait du non-respect des mesures barrières et des mesures de protection.

En dépit de l’importance de cette question et de la nécessité impérieuse pour les citoyens de respecter les gestes barrières et les mesures de protection, nous souhaitons mettre l’accent sur les politiques publiques et leur incapacité à faire face à la pandémie. Parallèlement à la nécessité de mobiliser les citoyens et de faire appel à leur sens de la responsabilité et de la citoyenneté, la responsabilité première dans les défis d’importance nationale est avant tout celle de l’Etat et sa capacité à définir les politiques publiques capables de faire face à ces enjeux et de protéger la société et les citoyens.

L’analyse de la situation épidémiologique aujourd’hui en Tunisie montre largement l’échec et la faillite des politiques publiques à faire face à cette crise sanitaire d’une ampleur sans précédent. Cet échec apparaît dans une analyse comparative entre tous les pays arabes et montre que les résultats de nos politiques publiques sont faibles, même en les comparant avec les pays qui ont nos moyens financiers et le même niveau de développement de notre secteur sanitaire.

Mais avant de nous engager dans l’analyse et l’étude comparative, il est nécessaire de mettre l’accent sur l’engagement sans faille de tous les cadres de la santé qui ont résisté à cette grave pandémie dans des conditions très difficiles.
Dans cette contribution, nous voulons souligner les questions structurelles, plus particulièrement les politiques publiques, pour comprendre ces difficultés et ces échecs. Cette lecture critique a pour objectif de déterminer les points de blocage dans les politiques publiques et les moyens de les transformer afin de défendre la société face aux grandes pandémies qui seront les grandes caractéristiques de l’avenir.

Analyse comparative des situations épidémiologiques des pays arabes

Nous avons rassemblé les principaux indicateurs de la situation épidémiologique dans les pays arabes pour comprendre l’évolution de la pandémie et la capacité des politiques publiques mises en place pour lui faire face et sauver les sociétés et les citoyens. Certes, comme l’a indiqué l’Organisation mondiale de la santé, les statistiques de certains pays arabes ne sont pas rigoureuses et parfois incomplètes pour permettre une comparaison de tous les pays. Nous nous limiterons dans cette analyse comparative aux pays dont les statistiques sont relativement sûres.
Le premier résultat est que la situation épidémiologique en Tunisie est la seconde plus mauvaise après le Liban (Tableau n°1). Ce résultat nous amène à nous interroger sur les raisons qui nous ont conduits à ces résultats et à cet échec dans la gestion de cette crise sanitaire.

La lecture de la situation sanitaire dans les pays arabes nous a conduits à considérer trois grands groupes de pays sur la base de leurs résultats dans la gestion de la pandémie.
Les pays en crise :
Ce premier groupe comporte plusieurs pays dont le Liban, la Tunisie, l’Irak, la Palestine et la Libye. Ces pays connaissent une situation épidémiologique grave à travers notamment un nombre élevé de décès, le nombre de décès par million d’habitants, le nombre de cas positifs à la Covid-19, le nombre de positifs par million d’habitants et bien d’autres critères de la situation épidémiologique.

Parallèlement à la gravité de la situation sanitaire, les pays membres de ce groupe ont comme point commun les crises politiques qu’ils traversent depuis quelques années. Ces crises et cette instabilité politique ont eu un impact sur la situation épidémiologique et leur capacité à définir les politiques publiques nécessaires pour faire face à la pandémie.
La seconde remarque est que le sérieux de la situation sanitaire et sa détérioration ont eu des effets sur la situation économique. Ces pays ont enregistré les résultats les plus graves en matière de récession économique.
Les pays aux résultats moyens :

A partir des éléments et des différents indicateurs retenus, les pays sont le Koweït, le Bahreïn, le Maroc et l’Arabie saoudite. Ces pays, s’ils ont connu une croissance rapide de la pandémie, ont été en mesure de mettre en place des politiques publiques fortes qui leur ont permis de la maîtriser et de diminuer le nombre de décès.
Le point commun entre ces pays concerne la stabilité politique qui leur a permis de définir et de mettre en place les politiques publiques fortes pour faire face à la pandémie. Il faut également mentionner qu’ils ont entamé relativement tôt un important effort en matière de vaccination, ce qui leur a permis d’atteindre un certain niveau d’immunité collective.

Cette maîtrise relative de la pandémie a eu des effets économiques et ces pays ont connu un niveau de récession économique moins élevé que la première catégorie de pays.

Les pays qui ont connu une certaine réussite :
La réussite dans le combat contre la pandémie n’est que toute relative compte tenu des difficultés à prévoir son évolution future. Ce groupe comprend des pays comme les Emirats arabes unis, le Qatar et l’Algérie qui connaissent aujourd’hui les ratios épidémiologiques les moins élevés parmi les pays arabes (Tableau n°1).

Il faut mentionner que ces pays présentent quatre grandes caractéristiques communes. La première est la stabilité politique et la force des institutions de l’Etat pour l’Algérie. La seconde caractéristique concerne le lancement de la campagne de vaccination assez tôt et sur une large échelle, ce qui a permis d’atteindre une certaine immunité collective. La troisième caractéristique commune concerne le nombre d’habitants, sauf pour le cas de l’Algérie, ce qui a permis à la campagne de vaccination de couvrir rapidement une large partie de la population en un temps record. La quatrième caractéristique commune concerne les moyens financiers dont disposent ces pays, ce qui leur a permis de disposer rapidement des vaccins en dépit de la concurrence sur le marché international.

Cette politique en matière de gestion de la pandémie a été à l’origine d’une certaine maîtrise de la situation sanitaire qui a eu des effets positifs sur la situation économique où le niveau de la récession a été moins élevé que dans les autres pays.

Cette analyse comparée des performances des pays arabes nous a permis de ressortir les éléments de réussite des politiques publiques dans la lutte contre la pandémie et la réduction de ses effets sanitaires et économiques. Le premier élément qui est au centre de ces succès, concerne la stabilité politique et la force des institutions de l’Etat qui ont permis à ces pays de mettre en place des politiques publiques fortes et de s’assurer de leur exécution.
Le second élément dans la réussite de ces politiques publiques concerne le démarrage assez tôt dans la vaccination et son extension à une échelle très large. Le troisième élément concerne le nombre d’habitants et la densité de la population qui ont permis aux pays avec une population moins importante de couvrir de manière rapide une grande partie de la population et de parvenir à une immunité collective. Le quatrième élément concerne la disponibilité des moyens financiers qui a permis aux pays riches de réussir à se défendre dans la compétition sur le marché international des vaccins et s’en procurer les quantités nécessaires de manière rapide.

Mais, cette analyse comparative met en exergue les faibles résultats de nos politiques publiques dans la lutte contre la pandémie. Cet échec pose d’importantes questions sur les raisons et les faiblesses de nos politiques publiques.

Aux origines des échecs des politiques publiques dans la lutte contre la pandémie
La lecture des raisons profondes des échecs de nos politiques publiques est nécessaire pour déterminer les ajustements à leur apporter afin d’accroître leur efficacité.
Nous avons identifié quatre niveaux de défaillance dans nos politiques publiques.

1-L’absence de gestion politique de la crise :

La pandémie que nous traversons, l’ampleur du défi qu’elle a posé pour nos sociétés et la menace qu’elle a représentée pour l’humain ont dépassé la crise sanitaire classique pour devenir un danger pour la paix globale et une question éminemment politique. La plupart des pays du monde ont géré cette crise de manière politique et elle est rapidement le centre des préoccupations des hauts responsables des Etats.
Les autorités politiques et les institutions de l’Etat ont pris en charge la gestion de cette crise et la définition des stratégies et des politiques publiques pour lui faire face. Les premiers responsables politiques sont apparus au premier rang de cette bataille et dans cette lutte acharnée.

Les pouvoirs politiques ont joué des rôles importants dans la mobilisation des citoyens et leur sensibilisation pour lutter contre la pandémie et limiter sa transmission avec un aspect pédagogique pour expliquer les dangers. Ils ont eu aussi le rôle de sensibilisation pour inciter les citoyens à respecter les mesures de protection et de distanciation. Il y a eu surtout le rôle politique à travers la définition des politiques de lutte contre la pandémie et la quête d’une large adhésion à leur exécution, ce qui a renforcé le rôle des institutions de l’Etat dans la gestion de cette crise. Il faut également souligner le rôle protecteur de l’Etat en faveur des couches sociales les plus fragiles et défavorisées pour les encourager à résister et à s’armer de patience face à la pandémie et surtout devant les mesures rudes, notamment en matière de confinement.

Les apparitions régulières des plus hauts responsables de l’Etat dans les différents pays ont contribué largement à cet effort national de lutte contre la pandémie.
Mais, la situation dans notre pays était totalement différente dans la mesure où les autorités politiques étaient absentes dans la lutte contre la pandémie de manière directe. Nous n’avons pas assisté à ce que nous avons vu ailleurs, avec les prises de parole régulières des plus hauts responsables de l’Etat pour informer les citoyens des différentes mesures et les inciter à les respecter et à résister. Ce rôle a été dévolu aux responsables scientifiques et de la santé qui, en dépit de l’importance du travail qu’ils ont effectué ne peuvent remplacer le rôle politique et la symbolique que la crise exigeait.

L’absence de ce rôle politique a réduit la mobilisation des citoyens et leur engagement pour respecter les mesures de protection mises en place afin de lutter contre la pandémie.

2-L’échec de la vision prospective des institutions de l’Etat :

Les échecs des politiques publiques ne se limitent pas à l’absence d’un leadership politique mais concerne également l’échec des institutions de l’Etat à construire une vision prospective pour l’avenir des défis, particulièrement les développements futurs de la pandémie. La prospective et la vision d’avenir ne sont pas seulement une question technique mais aussi politique. Le pouvoir politique joue un rôle important dans la prospective à travers l’appui qu’il accorde à la recherche et à la réflexion stratégique, mais également dans la prise en compte de ses recommandations dans la définition des politiques et des stratégies.

Le suivi de l’évolution de la pandémie et les différentes décisions prises par les pouvoirs publics montrent que de nombreuses fois, elles n’ont pas renforcé les décisions techniques et scientifiques mais elles ont été à contre-courant de ces recommandations.
Pour montrer cet échec dans la capacité de prospective, nous citerons deux exemples. Le premier revient au mois de juin 2020 à la fin de la première vague et au recul de la pandémie. Au moment où tous les pays du monde se préparaient à la seconde vague, notamment en effectuant les commandes des vaccins, nos responsables politiques étaient enivrés par « la victoire définitive sur le virus » et les plus hauts responsables de l’Etat de répéter à longueur de journée que notre expérience est devenue « une leçon pour le monde entier ». Ainsi, au moment où le monde se préparait à faire face à la seconde vague, nous étions en train de fêter nos victoires « illusoires ».

Le second exemple qui démontre cet échec en matière de prospective concerne les dernières décisions gouvernementales en date du 3 mars 2021. Il faut dire qu’au début de ce mois, tous les pays du monde ont commencé à renforcer les mesures de protection pour faire face à la troisième vague qui s’annonçait encore plus difficile, compte tenu de l’apparition de nouveaux variants. Or, en dépit de l’apparition du nouveau variant en Tunisie, nos responsables politiques ont décidé d’alléger les mesures de protection, ce qui a été à l’origine d’un retour rapide de la pandémie et d’une plus grande contagion.

3-L’affaiblissement et l’échec des institutions de l’Etat :

Le troisième aspect qui est au cœur des échecs des politiques publiques dans la lutte contre la pandémie concerne la faiblesse des institutions de l’Etat et leur incapacité à imposer le respect des mesures mises en place.
Dès le début, les institutions de l’Etat n’ont pas été capables d’assurer le respect des mesures de prévention et de distanciation pour arrêter la propagation du virus. Cette faiblesse a constitué une grande préoccupation et un des plus importants défis des politiques publiques dans ce domaine. Le respect de ces mesures est resté très limité et a ouvert la porte à des abus et à des dépassements importants. Ainsi, les mesures de distanciation et le port des bavettes n’ont pas été respectés. Les décisions de déplacement entre les régions ont été peu suivies. Mais, le plus grave à ce niveau est la décision de certains partis politiques d’organiser de grandes manifestations et de grands rassemblements publics dans une défiance sans précédent aux décisions de l’Etat. En dépit de cette violation de ces décisions, les institutions publiques et les organes de l’Etat ont été incapables de les arrêter.

Ces actions et manifestations politiques ont amené d’autres secteurs qui avaient respecté les décisions préventives de l’Etat à exiger leurs levées face à l’absence d’égalité dans leur respect et leur mise en œuvre.

4-La gestion bureaucratique des politiques publiques :

Parallèlement à ces mesures qui ont réduit l’efficacité des politiques publiques dans la lutte contre la pandémie, il faut également souligné le poids de la bureaucratie qui a marqué les prises de décision engendrant de grands retards en matière de mise en œuvre de nos décisions et choix. Nous avons enregistré des retards dans tous les domaines, de l’achat des bavettes à l’acquisition des vaccins, en passant par l’octroi des autorisations pour l’utilisation des vaccins.
L’analyse du traitement administratif de la pandémie montre que les institutions de l’Etat n’ont pas fait preuve de grande rapidité et de célérité dans le traitement de la pandémie. Ainsi, avons-nous continué à traiter une situation exceptionnelle créée par cette pandémie avec nos outils et nos procédures habituels, ce qui a été à l’origine d’un retard sans précédent.

Notre pays connaît une forte détérioration de la situation épidémiologique qui risque de se transformer en une troisième vague encore plus grave. Nos politiques publiques n’ont pas été jusqu’à présent en mesure de relever les défis sanitaires, économiques et sociaux de la pandémie. Ces échecs exigent une intervention au plus haut niveau de l’Etat pour opérer les ajustements et les changements nécessaires et prendre les décisions exceptionnelles pour faire face à la pandémie, et particulièrement pour renforcer les mesures préventives et assurer leur respect. Ces mesures doivent également et de manière prioritaire accélérer l’acquisition des vaccins et la campagne de vaccination afin d’aider les citoyens et la société à résister à cette pandémie.

Réalités Online, 17 avr 2021

Etiquettes : Tunisie, situation sanitaire, covid 19, coronavirus,

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