Libye : Le gouvernement de Dbeibah est-il vraiment un gouvernement de transition ?

Mohamed Habili

L’autre jour, abordant la question de savoir si le gouvernement de transition libyen, emmené par Abdelhamid Dbeibah, se concevait ou non lui-même comme provisoire, c’est-à-dire comme disposé à rendre le tablier dès lors que les élections générales prévues pour le 24 décembre ont eu lieu, force nous avait été d’adopter la politique du «wait and see» mais tout en restant vigilant.

Certes, le fait même de se poser la question, est en soi une réponse, sauf que c’est à moitié seulement. Dbeibah avait alors fait deux déplacements, l’un à Paris et l’autre au Caire. Il vient de faire un troisième, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il était prévisible. Il s’est en effet rendu à Ankara, où comme pour les fois précédentes, il a été reçu avec les honneurs dus à un chef d’Etat, ce qu’il n’est pas. Aujourd’hui, en Libye, ce titre reviendrait plutôt à Mohamed el-Menfi, le chef du Conseil présidentiel. Si l’on n’avait pas su de quoi il avait bien parlé avec ses interlocuteurs lors de ces deux premiers voyages, on sait en revanche quels sujets il a abordés avec le président Erdogan, du moins pour une partie d’entre eux.

Dbeibah a reconduit avec le président turc tel quel l’accord sur la délimitation des frontières maritimes entre leurs deux pays conclu du temps du gouvernement d’union nationale de Fayaz el-Serraj. On se rappelle la force du rejet suscité par cet accord chez les pays de l’est de la Méditerranée, chez la Grèce et l’Egypte en particulier, pour lesquelles il était nul et non avenu. A priori, un Exécutif dont la principale et même l’unique mission est d’organiser dans les meilleures conditions possibles des élections marquant la fin de la transition n’a pas à passer des traités avec qui que ce soit.

Quand l’accord maritime en question serait le meilleur possible à la fois pour la Turquie et la Libye, et que de surcroît il ne soulèverait pas d’objection de la part des pays voisins, ce ne serait pas encore à un gouvernement de transition de le passer, ni de le confirmer s’il existe déjà. Un gouvernement de transition qui se conçoit comme tel laisserait cette tâche au gouvernement qui serait élu dans les quelques mois qui viennent. En particulier, il se garderait de passer un accord bilatéral avec qui que ce soit en une matière qui par sa nature même requiert l’entente de tous. Pendant que Dbeibah était à Ankara, le ministre grec des Affaires étrangères était à Benghazi, officiellement pour rouvrir le consulat de son pays. Il est douteux que cette coïncidence soit le fait du hasard. Il est à craindre que ce soit là le premier signe que le clivage est-ouest en Libye n’est pas dépassé, sous prétexte que le gouvernement Dbeibah est reconnu aussi bien par Tobrouk que par Tripoli.

En tout cas une chose est d’ores et déjà certaine, Dbeibah ne s’est pas comporté à Ankara comme quelqu’un qui n’est en poste que pour organiser des élections somme toute pas si éloignées dans le temps. Le ministre grec a tenu à rappeler depuis Benghazi que le plus urgent pour la Libye était le départ des forces étrangères. Il ne semble pas en effet que ce sujet ait été abordé entre Dbeibah et Erdogan. Or c’est surtout de cela qu’il aurait dû être question entre eux.
M. H.

Le Jour d’Algérie, 14 avr 2021

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