Les difficultés d’Emmanuel Macron ouvrent un espace pour Marine Le Pen

Mais ils entraînent aussi une plus grande surveillance

Marion Anne Perrine Le Pen n’a jamais vraiment voulu faire de la politique. C’est sa sœur aînée, Marie-Caroline, que l’on croyait destinée à suivre les traces de leur père, Jean-Marie, cofondateur en 1972 du Front national, parti d’extrême droite français. Marine, comme on l’appelait dans son enfance, était le bébé de la famille, la troisième fille blonde, qui se destinait à une carrière d’avocate. Pourtant, depuis dix ans, pour des raisons de hasard et de ruse, c’est Marine Le Pen qui dirige le parti qu’elle a rebaptisé Rassemblement national. Et dans douze mois, c’est son nom qui figurera sur le bulletin de vote de la prochaine élection présidentielle française, pour la troisième fois consécutive. Est-il temps de penser l’impensable ?

S’attarder sur la possibilité, aussi infime soit-elle, que Mme Le Pen s’empare de la présidence déstabilise les esprits libéraux. Le simple fait d’en parler lui donne de l’oxygène et confère une légitimité à une candidate qui a déjà comparé les musulmans priant dans la rue en France à l’occupation nazie. Pourtant, les chances d’une victoire de Mme Le Pen ne sont plus proches de zéro. Avec une nouvelle flambée des infections au covid-19 et une campagne de vaccination qui ne fait que commencer, la cote de popularité d’Emmanuel Macron est en baisse. Après un président de droite (Nicolas Sarkozy), de gauche (François Hollande) et du centre (M. Macron), un électorat désabusé pourrait être tenté d’essayer quelque chose de différent. La principale raison pour laquelle les électeurs ont tendance à soutenir son parti est qu’ils en ont assez de tous les autres.

En outre, Mme Le Pen est désormais une militante chevronnée, qui connaît les conséquences d’une élection présidentielle à deux tours et les cicatrices laissées par la défaite. Elle est passée maître dans l’art de la phrase choc, en qualifiant de « vaccin de Waterloo » la décision de M. Macron, le 31 mars, de mettre la France en état d’urgence. « Confinement, déconfinement, reconfinement », chante Mme Le Pen, se moquant de la stratégie changeante du gouvernement. Les sondages suggèrent que, si un second tour devait avoir lieu aujourd’hui, elle pourrait obtenir 47-48% contre 52-53% pour M. Macron, une marge effrayante. Autrefois, on supposait que les électeurs modérés de gauche et de droite se lèveraient, choqués et honteux, dans tout le pays pour empêcher une Le Pen d’accéder à la fonction suprême. Aujourd’hui, les électeurs désabusés par M. Macron, notamment à gauche, jurent simplement de s’abstenir.

Si les problèmes de M. Macron ouvrent un espace pour Mme Le Pen, ils entraînent également une surveillance accrue. Certains types peu recommandables se cachent toujours dans son ombre. On s’interrogera sur son approche de l’exercice démocratique du pouvoir. Une inspection plus étroite impliquera également ce que l’on pourrait appeler le défi de la compétence. Dans le passé, lorsque le Front national était un parti de contestation, cela importait peu. Son père cherchait à hurler, pas à gouverner. Elle cherche le pouvoir.

Il y a quatre ans, son discours politique était distinctif. Elle était une Frexiteer, qui a juré de sortir la France de l’euro, de fermer ses frontières aux immigrants, de réprimer l’islamisme et d’obliger les usines à fabriquer des produits et à conserver les emplois dans le pays. Elle a opposé son approche « patriotique » à ce qu’elle a appelé la vision « mondialiste » de M. Macron : la dérégulation et l’européanisme post-national.

Aujourd’hui, cependant, Mme Le Pen a abandonné le Frexit, conserverait l’euro et promet de forger une « Europe des nations » en réformant de l’intérieur. La candidate n’a plus le monopole des questions de souveraineté nationale ; tous les partis jurent de fabriquer davantage de masques, de vaccins et de médicaments en France. Quant au projet de loi sur les « valeurs républicaines » de M. Macron, que ses détracteurs considèrent comme une chasse au vote d’extrême droite de Mme Le Pen, il est également destiné à endiguer l’islamisme. D’ailleurs, Gérald Darmanin, son ministre de l’Intérieur, l’a fait sursauter lors d’un débat en l’accusant d’être trop douce sur ces questions. Aujourd’hui, Mme Le Pen, populaire parmi les anti-vaxxers, soutient la vaccination.

De nombreux électeurs verront toujours le nom de famille, ne tiendront pas compte du nouvel emballage et rejetteront le message sous-jacent, jugé diviseur et toxique. Environ un quart des électeurs se disent prêts à soutenir Mme Le Pen au premier tour, mais ce n’est pas plus qu’un an avant le précédent scrutin présidentiel. Pourtant, elle a la possibilité d’aller plus loin. Certaines de ses politiques sont désormais difficiles à distinguer de celles de la droite conservatrice ou nationaliste dominante. En effet, ses promesses de restreindre les droits de citoyenneté et de réduire l’immigration sont adoptées par les partis conservateurs à travers l’Europe, y compris en Grande-Bretagne. Lorsque Mme Le Pen promet de mieux gérer les choses, il s’agit de savoir si les électeurs pensent qu’elle est suffisamment compétente pour le faire.

Ce qui, paradoxalement, offre un certain confort aux macronistes. Personne n’a oublié le débat sauvage de second tour de Mme Le Pen contre M. Macron en 2017, lorsqu’il lui a calmement rappelé qu’elle avait confondu une entreprise qui fabrique des téléphones avec une autre qui fabrique des turbines industrielles. Il pourrait être endommagé par sa gestion de la troisième vague de covid-19. Mais, avec la reprise des vaccinations, M. Macron pourrait encore se rétablir. Il est moins mal aimé que M. Sarkozy ou M. Hollande à ce stade de leur mandat. Si les prochaines élections se jouent sur l’expertise technique, M. Macron aura un avantage considérable.

Venez tous, venez tous

Cependant, les inquiétudes concernant l’aptitude de Mme Le Pen à gouverner pourraient également aider ses rivaux potentiels de droite. L’un d’entre eux, Xavier Bertrand, chef de la région Hauts-de-France, a déjà déclaré qu’il se présenterait. Un autre, Valérie Pécresse, chef de la région parisienne, pourrait le faire. Un autre encore, Edouard Philippe, l’ex-premier ministre de M. Macron, reste en retrait en tant que maire du Havre, se décrivant dans une tournée publicitaire pour un nouveau livre comme « loyal » mais aussi « libre ». Pour lequel, probablement, lire : Je ne me présenterai pas contre M. Macron, mais je n’hésiterai pas à me déclarer si le président décide qu’il ne peut pas le faire. Même Michel Barnier, l’ancien négociateur de l’UE pour le Brexit, pourrait tenter sa chance.

En fin de compte, Mme Le Pen pourrait encore être jugée, du moins au premier tour, non pas sur des calculs cérébraux concernant la compétence, mais sur l’identité, l’émotion et la colère anti-élite dans la France rurale et industrielle. Le défi de la compétence s’appliquera davantage au second tour. Qui, à ce stade, est toujours le plus susceptible de voir M. Macron affronter, et battre de justesse, Mme Le Pen. Mais la politique reste très fluide. Les partis traditionnels sont creux. Les Français rebelles aiment créer la surprise. Personne n’est mieux placé que M. Macron pour le savoir. ■

The Economist, 9 avr 2021

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