Tunisie-Algérie: Marzouki affiche sa loyauté au Maroc

Tunisie-Algérie: Moncef Marzouki perd le nord, fait fausse route et se trompe de «coupable». Il accuse l’Algérie de bloquer la construction maghrébine et de vendre des chimères au peuple sahraoui.

On reste pantois devant le subit acharnement de l’ancien président tunisien, Moncef Marzouki, et ses charges, injustifiées à tous points de vue, contre l’Algérie accusée de bloquer la construction maghrébine et de vendre des chimères au peuple sahraoui. 

Ses critiques sont aussi inattendues que gravissimes et ne peuvent que soulever des questions et susciter des interrogations. Quelle mouche a piqué Marzouki ? Sans faire le tour de toutes ses élucubrations, on s’arrêtera juste sur la raison de sa colère subite contre l’Algérie et qui fait la trame dans son propos. En gros, Marzouki accuse l’Algérie d’être responsable de l’échec de la construction de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Dans la même logique et dans ses philippiques acerbes, le peuple sahraoui a fait également les frais de son amertume tant et si bien qu’il se déclare en faveur du plan d’autonomie du Maroc au Sahara occidental occupé. Commençons par dire que Marzouki a dupé tous ceux qui donnaient crédit à son soi-disant combat pour les «droits de l’Homme», la liberté et les autres vertus dont il prétend être un sincère défenseur.
Pour Marzouki, ainsi et crument, seule l’Algérie est responsable de la grande panne actuelle de l’UMA. Comment ?
Le 21 juin 2012, Marzouki, alors président de la Tunisie, a appelé à l’instauration de «cinq libertés» au profit des ressortissants des cinq pays membres de l’espace maghrébin : circulation, résidence, travail, investissement, élections municipales.
Démesurément idéaliste et rêveur impotent, utopique hors contexte et peu réaliste, on ne peut rester qu’ahuri face à des certitudes aussi puériles. 

Qui est responsable de cette situation ? C’est la question qui doit être posée dans pareil cas pour cerner la problématique car un sérieux problème de discernement surgit des propos de Marzouki. 
Qui est le fossoyeur de l’UMA ?
Rappelons quelques faits purement factuels : 
– Le 20 décembre 1995, M. Abdellatif Filali, Premier ministre marocain et ministre des Affaires étrangères de l’époque, saisit le secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA) et ses homologues maghrébins, pour annoncer le gel de la participation de son pays dans les institutions de l’Union. Au regard de la règle de l’unanimité qui régit le fonctionnement de l’UMA, c’est le blocage. Le motif invoqué par Rabat est une lettre envoyée par le ministre algérien des Affaires étrangères d’alors, le regretté Salah Dembri, au président du Conseil de sécurité de l’ONU, en date du 6 décembre 1995. Filali avait jugé que la missive était dirigée contre le Maroc. Dembri avait beau expliquer que sa lettre n’a rien d’inédit et que la position de l’Algérie sur la question est constante et connue. Par ce fallacieux argument, le Maroc crée les prodromes de la mise à mort de l’Union et l’annihilation des aspirations des peuples maghrébins. 

– Le 7 novembre 2002, lors de la formation du premier gouvernement depuis l’accession du roi Mohammed VI au trône (juillet 1999) et présidé par Driss Jettou, on a noté que le poste de ministre délégué chargé des Affaires maghrébines a disparu de la composition du nouveau cabinet. Une entorse à l’article 09 du traité instituant l’UMA. Cet acte laisse transparaître le degré de l’adhésion du Maroc à la grande idée d’un Maghreb arabe intégré.  
– En juin 2000, abondant dans la même ligne de conduite, le roi du Maroc annonça la couleur. Lors de l’une de ses très rares interviews accordées aux médias, Mohammed VI a déclaré au magazine américain Time ce qui suit : «Je refuse de prendre part à une réunion de l’Union du Maghreb arabe où les dirigeants, moi compris, entraient en compétition à qui parlera le plus fort.» 
– Cette profession de foi s’est exprimée une nouvelle fois par le refus du Maroc de ratifier l’ensemble des 37 textes d’accords de coopération signés par les pays membres de l’UMA. Le Maroc s’est contenté d’en ratifier 9 (contre 29 pour l’Algérie).

N’est-ce pas que c’est Rabat, par cette indéniable hérésie, qui a coulé l’UMA et non pas l’Algérie ?  
Examinons ensuite la proposition, on ne peut  plus chimérique, de Marzouki sur les «cinq libertés» dont il demande à ses pairs la mise en œuvre dans l’espace maghrébin. Un espace qui, rappelons-le, n’a jamais existé dans la réalité. Si elles sont évidemment à saluer comme de nobles idées, elles restent, cependant, au stade d’une simple construction abstraite, un vœu pieux. Demander leur entrée en vigueur et créer rapidement un espace maghrébin est du surréalisme joignant l’absurde à l’irrationalisme. L’UMA étant déjà à l’agonie et n’ayant pas réuni le minimum de cohésion et surtout de bonne volonté de tous ses membres, on ne peut envisager la moindre démarche intégrationniste. Est-il concevable, par exemple, de permettre aux citoyens maghrébins de voter dans le pays où ils résident ?

Un peu d’histoire pour rafraîchir la mémoire 
Lors de la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), en septembre 1963, les pères fondateurs de l’organisation, conscients que les questions des frontières, les tentations expansionnistes, les cultures d’empire, les dépeçages des États et les modifications par la force des frontières sont toujours des sources de guerre et d’instabilité, furent presque unanimes à considérer que les frontières héritées du colonialisme (article 3 du paragraphe 3 de la Charte de l’OUA) ne doivent pas être remises en cause afin d’assurer la stabilité des pays africains. 

Ce principe fondateur a été repris par la conférence de Helsinki de 1975. Dans son acte final, la conférence insiste sur l’inviolabilité des frontières établies au lendemain de le Seconde Guerre mondiale. 
Seuls  le Maroc et la Somalie ont récusé le principe en septembre 1963. Pour justifier ce refus, la Somalie arguait qu’il fallait récupérer la région de l’Ogaden qui était sous souveraineté éthiopienne. Une guerre a éclaté en 1977 entre les deux pays sur ce différend frontalier. Depuis, la Somalie est revenue à l’unanimité africaine sur la question et adhéra pleinement aux principes fondateurs de l’Union africaine. Quant au Maroc, ses visées expansionnistes sont insatiables et toujours intactes. Malgré de moult négociations et interventions de chefs d’État, Hassan II a soumis son adhésion à l’OUA en septembre 1963, à la réserve suivante : «Le gouvernement de Sa Majesté n’entend renoncer d’aucune façon à ses droits légitimes dans la réalisation pacifique de l’intégrité territoriale du royaume dans ses frontières authentiques.»  Ainsi, même en souscrivant à la Charte de l’OUA en 1963, le Maroc refuse le principe de «l’intangibilité des frontières», au motif qu’il s’oppose à la réalisation de son «intégrité territoriale». Hassan II clamait que son pays a été «démembré» et qu’il va falloir le «remembrer», au risque de revendiquer des pays (la Mauritanie), des parties de pays (Algérie, Sénégal et Mali) et un territoire encore occupé (Sahara occidental).   

De là sont nées, dans le discours officiel marocain, les notions de «frontières authentiques» et d’«intégrité territoriale» qui justifient des politiques guerrières et expansionnistes. 
La notion de «frontières authentiques» renvoie à une carte de 1956, élaborée par le parti  Istiqlal. Elle définit les contours géographiques du «Grand Maroc» qui comporte le territoire du Sahara occidental (actuellement occupé), une partie de l’Algérie (appelée Sahara oriental), toute la Mauritanie et des parties des territoires malien et sénégalais.

Le plus accablant est que cet expansionnisme est constitutionnalisé. Sans exception, les cinq Constitutions du royaume (1962-1972-1992-1996-2011) reprennent la formulation d’un même article : «Le roi garantit l’indépendance de la nation et l’intégrité territoriale du royaume dans ses frontières authentiques.» Dans la même logique, les rédacteurs de l’article ont choisi le concept de «nation», entité politique et philosophique et non celui d’«État», notion juridique bien définie et aux frontières délimitées. 

Le principe est également institutionnalisé. Ainsi, la Chambre des conseillers (chambre haute du Parlement marocain) a créé une «Commission des Affaires étrangères, de la Défense, des Frontières et des Zones marocaines occupées», pour entretenir l’idée des revendications territoriales du pays. Les termes de «frontières» et de «zones marocaines occupées» ne peuvent que susciter de légitimes interrogations au sein des pays voisins du Maroc. Les présides de Ceuta et Melilla n’y sont pas concernés.  

Conclusion : au principe cardinal de «l’intangibilité des frontières», il oppose le concept, diamétralement antinomique, de «l’authenticité des frontières». 
Dans la sous-région maghrébine, la question des frontières reste une source de tensions périodiques et constitue une menace pour la paix et la stabilité. Les appréhensions des pays voisins du Maroc sont légitimes. N’est-ce pas la récusation du principe de «l’intangibilité des frontières héritées par le Maroc en septembre 1963 qui a justifié l’agression, contre l’Algérie, en octobre 1963, l’occupation actuelle du territoire sahraoui depuis 1975 et les perpétuelles menaces contre la Mauritanie?

Dans cet ordre, des déclarations et des articles de presse au Maroc revendiquant des territoires (intégralement ou en partie) des pays voisins se sont multipliés ces dernières années. La proximité de leurs auteurs avec le régime marocain est évidente. 

Dans ces attaques contre l’Algérie, M. Moncef Marzouki a fait fi de toutes ces réalités et sans discernement se trompe de «coupable», perd le nord et fait fausse route.  Aux dernières nouvelles, nul en histoire récente, il aurait critiqué la normalisation entre le Maroc et Israël. Les relations entre les deux parties ne sont pas nouvelles. Il faut lire les Mémoires de Meir Amit, le directeur du Mossad (1961-1968), pour donner un sens aux visites, connues ou secrètes, de dirigeants de l’État hébreux au Maroc et expliquer les entremises de Hassan II entre Sadat et Begin pour s’en convaincre. «Taza avant Gaza», affichait un slogan depuis plus d’une décennie.

Par Kamel Et Touti

Le Soir d’Algérie, 26/12/2021