Le Sahara occidental et le retour aux armes

L’Union européenne négocie avec le Maroc l’exploitation des ressources naturelles du territoire

Les Nations Unies ont jeté l’éponge en raison de l’impossibilité de résoudre le conflit au Sahara Occidental à cause de l’intransigeance du Maroc et de la France. Quelle issue reste-t-il au peuple sahraoui? Continuer d’attendre encore un demi-siècle alors que deux générations sont déjà nées dans les camps de réfugiés algériens?

Cela fait 45 ans que l’Espagne a décidé d’abandonner le peuple sahraoui à son sort, cédant son ancienne possession coloniale à la Mauritanie (qui a quitté le territoire en 1979) et au Maroc, qui l’occupe militairement depuis. Après 15 ans de guerre (1975-1991), le Front Polisario a décidé d’échanger des armes contre les urnes, espérant que les temps nouveaux inaugurés avec la fin de la guerre froide rendraient possible la promesse des Nations Unies d’organiser un référendum d’autodétermination. dans laquelle les sahraouis décideraient de l’avenir du territoire.

A cette époque, il y avait un débat âpre au sein du mouvement de libération nationale sahraoui parmi ceux qui défendaient la poursuite de la guerre, car la décision de Hassan II de négocier avec ce qu’il considérait jusque-là comme une simple organisation terroriste, était le signe d’un épuisement évident et sa capitulation était proche, et ceux qui considéraient que le moment de paix était venu; qu’il fallait se fier à la promesse de l’ONU de décoloniser le territoire, comme elle l’avait fait au cours des décennies précédentes sur pratiquement tout le continent africain. Finalement, l’option pacifique a été imposée, mais malheureusement, le temps s’est écoulé pour donner la raison à ceux qui ont pari sur la guerre.

Le Plan de paix, librement négocié entre les deux parties et approuvé par le Conseil de sécurité (1991), prévoyait la tenue d’un référendum d’autodétermination dans un délai de six mois, au cours duquel la population pouvait choisir entre l’intégration du territoire dans le Maroc et l’indépendance. Il prévoyait également que le recensement pour le référendum serait basé sur celui établi par l’Espagne en 1974, qui serait mis à jour avec de petits changements, tirés des 15 années de guerre, y et à l’exclusion de ceux qui étaient décédés. Le fait qu’un délai aussi court ait été prévu pour la tenue du référendum donne une idée de la limitation des changements à apporter.

Malheureusement pour le peuple sahraoui, parallèlement au début du processus d’identification des électeurs, la guerre civile qui a fait rage en Algérie pendant une décennie a éclaté. A cette époque, Hassan II a senti que si cet État retirait son soutien aux Sahraouis, il pourrait faire disparaître le conflit de l’agenda international. Heureusement, l’Algérie n’a jamais changé son engagement en faveur de l’application du droit international dans le conflit. Cependant, le monarque alaouite a utilisé le processus d’identification dans le but non déguisé de reporter indéfiniment la tenue du référendum, garantissant qu’un processus qui devait être achevé en moins de six mois durerait une décennie entière. Enfin, peu de temps après que la Minurso (Mission des Nations Unies pour le référendum au Sahara Occidental) a rendu public le recensement (2000), le Maroc a annoncé qu’il n’accepterait jamais un référendum sur l’autodétermination, après avoir accusé l’ONU de partialité.

Les tentatives ultérieures pour résoudre le conflit par une «troisième voie» qui admettrait la tenue d’un référendum d’autodétermination, mais qui, à son tour, garantirait d’une manière ou d’une autre la victoire marocaine dans celui-ci, menée notamment par l’ancien secrétaire d’État américain, James Baker (Baker Plans I et II), et malgré une nette préférence pour les intérêts marocains, ont échoué en raison de l’intransigeance de cet État, qui ne voulait courir aucun «risque de perdre» le territoire. Baker lui-même l’a expressément déclaré lorsque, outré par l’obstructionnisme de cet État, a présenté sa démission.

Depuis ce moment, les négociations sont au point mort. Les résolutions du Conseil de sécurité ont exhorté depuis lors « les parties à reprendre les négociations sous les auspices du Secrétaire général sans conditions préalables et de bonne foi », faisant semblant d’ignorer que, à la suite de négociations menées dans ces mêmes locaux, elle avait déjà approuvé, depuis près de trois décennies, un plan de paix parfaitement applicable aujourd’hui; que la Minurso a déjà achevé une partie fondamentale de son mandat principal, la préparation du recensement; et que la seule raison pour laquelle le conflit n’est pas résolu définitivement par l’application du plan susmentionné est le rejet de l’une des parties, le Maroc, et le soutien inconditionnel du complice nécessaire, la France, qui s’oppose à la possibilité que le Conseil de sécurité force les parties à mettre en œuvre ledit plan.

Il est évident que vous ne pouvez pas négocier avec ceux qui ne le veulent pas: parmi les «conditions préalables» auxquelles se réfèrent les résolutions susmentionnées, il y a le refus exprès du Maroc de tenir un référendum d’autodétermination. A partir de là, qu’est-ce que la partie sahraouie aurait à négocier?

Les Nations Unies ont jeté l’éponge face à l’impossibilité de résoudre le conflit en raison de l’intransigeance du Maroc et de la France. Il est triste de devoir reconnaître que, comme le souligne la déclaration de guerre du Front Polisario, l’ONU est devenue un simple notaire de l’occupation. La dernière résolution du Conseil de sécurité laisse peu de place au doute: elle soutient « une solution politique réaliste, viable et durable à la question du Sahara occidental basée sur le compromis ». Que signifie «solution politique réaliste»? Il est évident que pour l’ONU l’indépendance n’est pas une «solution réaliste», donc ce qu’elle propose est quelque chose de très grave: abandonner le droit international pour aboutir à une solution politique qui ignore la volonté du peuple sahraoui.

De son côté, l’Union européenne négocie avec le Maroc l’exploitation des ressources naturelles du territoire, violant ainsi l’exigence établie en février 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne pour que cette exploitation soit conforme au droit international: que le peuple sahraoui donne son consentement à une telle exploitation. Le Front Polisario, à propos de l’Assemblée générale des Nations unies, le représentant «unique et légitime» du peuple sahraoui, a catégoriquement refusé de donner son consentement à de tels accords. En concluant ces accords, comme l’a souligné l’avocat général dans ses conclusions sur les accords de pêche, l’UE viole plusieurs des normes fondamentales du droit international: le droit à l’autodétermination des peuples, l’interdiction de reconnaître des situations dérivées de l’utilisation de force (occupation militaire), l’interdiction de contribuer par leur comportement à la consolidation d’une telle situation …

Quant à notre pays qui, conformément au droit international et à notre propre système juridique (confirmé par deux ordonnances de la Cour nationale de 2014), continue d’être la puissance administrante du territoire, a changé sa position initiale de défense tacite du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui depuis le premier gouvernement démocratique, celui de l’UCD, jusqu’au soutien actuel à l’occupation et à l’annexion illégale du territoire par le Maroc. Les représentants des gouvernements espagnols successifs, socialistes et populaires, ont répété ad nauseam les phrases creuses des résolutions du Conseil de sécurité (« nous soutenons les efforts des parties pour parvenir à une solution mutuellement acceptable … »), tout en y participant activement dans la consolidation de l’occupation du territoire. Il faut rappeler que les projets de résolution qui parviennent au Conseil de sécurité émanent du dénommé «Groupe des amis du Sahara occidental» (Sahara occidental ou conflit?), une sorte de «Conseil de sécurité pour le conflit sahraoui» composé des Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni et Espagne, qui remplaceraient ainsi le cinquième membre permanent, la Chine.

Parmi ceux d’entre nous qui maintiennent l’espoir que le conflit sera résolu par un référendum d’autodétermination, l’arrivée d’Unidas Podemos au gouvernement a été très bien accueillie, car depuis la fin de la dictature, le Parti communiste et la Gauche unie défendent fermement cette solution, et parce que Pablo Iglesias lui-même avait promis publiquement de le promouvoir, participant même à des actes de solidarité avec le peuple sahraoui. Mais il semble que les choses les choses sont vues différemment du gouvernement. Personne n’échappe à la gravité des problèmes avec lesquels le gouvernement marocain fait chanter et extorque l’Espagne et l’Europe. La coopération en matière de contrebande ou de terrorisme international, Ceuta et Melilla, mais surtout l’immigration, sont des arguments difficiles à gérer. Y a-t-il un doute sur les raisons pour lesquelles des milliers d’immigrants ont commencé à arriver aux îles Canaries, précisément à cette époque, en quelques semaines seulement? Le Maroc gère comme personne le robinet de l’immigration clandestine, qui s’ouvre à chaque fois que ses relations avec l’UE sont remises en question ou peuvent l’être. Mais le peuple sahraoui ne peut à nouveau être la monnaie d’échange pour résoudre les problèmes du royaume alaouite.

Dans ces circonstances, quelle issue reste-t-il au peuple sahraoui? Continuer d’attendre encore un demi-siècle alors que deux générations sont déjà nées dans les camps de réfugiés algériens? Abandonner à leur triste sort ceux qui subissent la violente occupation marocaine sur leur propre terre? Je ne serai pas celui qui défendra la voie de la guerre pour résoudre le conflit. J’admire profondément ceux qui, après avoir subi des disparitions forcées pendant plus de seize ans, défendent encore la voie pacifique comme moyen de résoudre le conflit. Mais le Front Polisario est un mouvement de libération nationale auquel le droit international reconnaît le droit de recourir à la force face à l’occupation et à la domination coloniales, donc s’il décide de prendre les armes efficacement, il exercera son droit.

La gravité plus ou moins grande de la violation du cessez-le-feu marocain qui a conduit à la déclaration de guerre sahraouie n’est pas particulièrement pertinente. C’est simplement la dernière goutte. La date de la proclamation de l’état de guerre n’est pas un pur hasard: il y a 45 ans, le 14 novembre 1975, l’Espagne a cédé le territoire au Maroc et à la Mauritanie par le biais des «Accords tripartites de Madrid».

Pendant des décennies, le Front Polisario a fait preuve d’infinies preuves de patience, parfois difficiles à comprendre pour son propre peuple (rappelez-vous, par exemple, le courage du mouvement sahraoui après les événements de Gdeim Izik), en utilisant tous les canaux politiques, diplomatiques et juridiques imaginable. Ce que l’ONU, l’UE et l’Espagne lui demandent, c’est qu’il se rende, qu’il accepte de se rendre au Maroc. Et cela n’arrivera pas. Le peuple sahraoui est un peuple pacifique, il en a donné de nombreuses preuves, mais digne et fier. Si le retour à la guerre se confirme, personne ne peut lui reprocher de ne pas avoir exploité chacun des moyens possibles pour parvenir à quelque chose de fondamental qui lui correspond pour la justice: vivre en paix sur sa propre terre.

Juan Soroeta. Professeur de droit international public à l’UPV / EHU, Président de l’AIODH (Association Internationale pour l’Observation des droits humains)

Source : Kaos en la red, 6 déc 2020

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