Sahara Occidental : «Nouakchott a un rôle important à jouer» (analyste)

ISMAÏL ECHEIKH SIDIA, ANALYSTE POLITIQUE MAURITANIEN :
«Nouakchott a un rôle important à jouer»

Entretien réalisé par Tarek Hafid

Écrivain et analyste politique mauritanien, Ismaïl Echeikh Sidia revient dans cet entretien sur le rôle de la Mauritanie dans la seconde guerre qui oppose le Front Polisario au Maroc. Pour ce spécialiste des questions africaines, «l’impartialité» de Nouakchott peut lui permettre de jouer un rôle de médiateur entre les deux parties. Ismaïl Echeikh Sidia évoque la possibilité d’une extension du conflit avec l’implication de l’Algérie.

Le Soir d’Algérie : Comment évaluez-vous la situation sécuritaire dans le nord de la Mauritanie depuis la reprise du conflit armé entre le Front Polisario et le Maroc ?

Ismaïl Echeikh Sidia : Selon les témoignages sur le front, la situation est très tendue. Cependant, les médias marocains, dans une démarche délibérée, se taisent et n’évoquent pas cette seconde guerre au Sahara Occidental, car elle nuirait aux investissements internationaux, à la Bourse et au marché monétaire. Elle compliquera également la situation politique et sécuritaire.
Les médias sahraouis évoquent cette guerre, car la paix a presque mis la question du Sahara Occidental sous silence. Jusqu’à présent, les avions de combat marocains ne sont pas entrés en action, idem pour les canons anti-aériens sahraouis.

Cependant, la portée des bombardements a dépassé les cinquante kilomètres.

À l’avenir, le point de danger et d’escalade sera à mettre sur le compte de deux parties ou de l’une d’entre elles. Il faut s’attendre à des images d’incursions qui fuiteront dans les médias. La crainte d’une défaite médiatique pourrait conduire à une propagation de la guerre à l’intérieur des villes sous contrôle marocain ou à l’intérieur du territoire algérien, voire même à des batailles intenses à la frontière algéro-maroco-algérienne. Cela signifie que l’Algérie pourrait entrer dans les deux cas dans l’affrontement, ce qui accélérera la paix ou intensifiera le conflit.

Comment l’opinion publique mauritanienne voit-elle la reprise de la guerre ?

Les Mauritaniens, dans leur grande majorité, ont tendance à rechercher la paix dans la région, entre frères et voisins et sont très préoccupés par les conséquences de cette guerre à tous les niveaux. Ils savent ce qu’est le malheur car ils l’ont combattu et connaissent ses conséquences tragiques sur la paix et l’économie. Mais ils savent tous que l’équation est claire au Sahara Occidental entre une partie qui veut l’hégémonie et une autre qui la rejette et entre le rejet et l’imposition, le conflit pouvait éclater à tout moment.

La Mauritanie subit-elle encore les répercussions de la fermeture du passage de Guerguerat, sur le plan commercial mais aussi en matière d’approvisionnement en produits agroalimentaires ?

Les répercussions économiques étaient liées au fait de s’être habitué à emprunter ce passage. Mais les alternatives existent bien avant son ouverture. Les échanges ont donc repris à travers les ports et les aéroports. Pendant la période de fermeture, les marchandises en provenance de l’extérieur ont été épuisées. Il faut dire qu’avec le temps, les Mauritaniens préfèrent utiliser ce passage principalement pour des raisons de rapidité et de prix. Aujourd’hui, la plupart des hommes d’affaires de la ville de Nouadhibou ont opté pour la voie maritime pour transporter les produits de la pêche vers l’Europe. Ces alternatives peuvent prendre un peu de temps pour se mettre en place.

Le Président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani et son ministre des Affaires étrangères mauritanien, Ismaïl Ould Echeikh Ahmed, ont reçu lundi le ministre sahraoui des Affaires étrangères Mohamed Salem Ould Salek.

La Mauritanie peut-elle jouer le rôle de médiateur entre la RASD et le Maroc afin de parvenir à un nouveau cessez-le-feu et relancer le processus de règlement du dossier du Sahara Occidental ?

La Mauritanie, à travers sa nouvelle position, appelle à une neutralité active. Cette position d’impartialité peut lui permettre de jouer le rôle de médiateur pour deux raisons: sa bonne relation ouverte, multiforme avec l’État sahraoui, et sa relation historique avec le Maroc.

D’autant plus que la Mauritanie a de nombreuses cartes et rôles qu’elle peut jouer en temps de paix et en temps de guerre. La Mauritanie, en refusant de maintenir le passage de Guerguerat, porte préjudice à l’économie et à la politique marocaines. D’un autre côté, à travers son territoire et son armée, elle contre stratégiquement les Sahraouis. Ni Nouakchott ni les Sahraouis ne sont prêts à une tension qui sera très coûteuse au niveau populaire.

Selon vous, la Mauritanie, qui entretient de bonnes relations avec les deux parties, a-t-elle plus d’atouts que l’Algérie pour mener cette médiation ?
L’Algérie est un pays que le Maroc considère comme une partie du conflit et le Polisario le considère comme un allié. La Mauritanie le considère comme un partenaire pour résoudre le dilemme sahraoui. Une grande partie de la société mauritanienne s’exprimant en langue hassanie partage avec la communauté sahraouie des facteurs anthropologiques et socioculturels. Elle contrôle également la région de Lagouira qui fait partie du territoire saharien, et a été une partie principale de l’accord de Madrid. Le Maroc pourrait avoir un rôle confortable dans le futur. A mon avis, la paix dans la région passe par Nouakchott plus qu’Addis-Abeba et New York.

Que pensez-vous de la position mauritanienne sur cette question ? Est-il possible de considérer la position de neutralité comme une position correcte si l’on considère la présence continue de voix au Maroc qui réclament toujours «la marocanité» de Mauritanie et d’autres régions des pays voisins ?

La neutralité mauritanienne est un choix stratégique et non une coïncidence. Il peut porter ses fruits plus tard dans l’établissement de la paix. La Mauritanie — comme je l’ai dit — est nécessaire aux parties au conflit dans les situations de paix et de guerre. Mais elle a également besoin de stabilité.

Les Mauritaniens auront un rôle à jouer pour bâtir un Maghreb arabe fort débarrassé des conflits et de la tension. La Mauritanie peut être efficace grâce à ses capacités géostratégiques et une valeur ajoutée en matière d’intégration inter-maghrébine. Ainsi, il sera possible d’atténuer les problèmes historiques et les dépassements verbaux. De ce point de vue, la neutralité mauritanienne comme tactique est un atout pour la paix.

Le Soir d’Algérie, 29 nov 2020

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