Algérie-France : Pari (s) sur l’avenir

On s’y attendait un petit peu. Que pouvait bien faire en Algérie le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française Jean-Yves Le Drian, en pleine campagne pour le référendum sur la révision de la constitution qui suscite une controverse ? « Le Président Tebboune a affiché ses intentions de réformes des institutions pour renforcer la gouvernance, l’équilibre des pouvoirs et les libertés », a-t-il lâché lors de sa rencontre avec les médias.

Avant de commenter cette petite phrase dans le fond, il convient, d’abord de souligner sa forme. Est-il vraiment opportun de se fendre d’une déclaration sur le processus politique interne à l’Algérie comme si nous étions un Dom Tom (département ou territoire d’outre-mer) ? Pourquoi Le Drian s’est-il permis de fourrer son nez dans nos affaires internes sachant que son pays, n’a pas encore assumé son devoir de mémoire et reconnu les crimes atroces que sa soldatesque a commis sur cette terre arrosée du sang des chouhadas ?

Par quelque bout que l’on prend les propos du chef du Quai d’Orsay, elle paraît tout à fait déplacée, inopportune et tendancieuse. Il n’est pas exagéré non plus de penser qu’elle confine à de l’ingérence étrangère en bonne et dûe forme. La France est sans doute le dernier pays au monde à donner des leçons sur la démocratie et les droits de l’homme au monde bien qu’elle traine cette fausse médaille de « patrie des droits de l’homme ». Encore plus en Algérie, où elle a commis l’innommable mais s’obstine, 62 ans après l’indépendance à ne pas le reconnaître.

En réalité, Paris fait dans la Realpolitik. À travers cette phrase moralement inacceptable de Jean-Yves Le Drian, elle montre pattes blanches devant le régime du président Tebboune et lui donne son onction diplomatique. L’enjeu c’est de protéger et défendre ses intérêts, pas uniquement en Algérie mais surtout au Sahel où elle traine les pieds dans le bourbier du Mali et en Libye où elle est reléguée derrière après l’entrée en lice des Américains et des Russes. Il serait naïf de croire que Le Drian se soit fendu de sa « belle phrase » juste pour les beaux yeux du président Tebboune.

Malins, les français savent que le contexte politique dans lequel évolue le nouveau pouvoir en Algérie, leur ouvre la porte au possible retour en grâce sur la scène régionale notamment sur le dossier Libyen et malien. Ils savent aussi qu’une alliance avec l’Algérie sur ces deux dossiers chauds leur serait très bénéfique voire décisive. Un petit « baiser » de Paris ne serait tout compte fait pas de trop. Mieux encore, il a toutes les chances d’être le bienvenu auprès du pouvoir qui a tant besoin, ici et maintenant, d’un coup de main de l’ennemi…intime. Eh oui ! La France parie sur l’avenir. Le pouvoir aussi.

Imane B.

L’Est Républicain, 17 oct 2020

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