Algérie : J’ai la Covid, je n’avais pourtant jamais gagné au loto !

par Sid Lakhdar Boumédiene*

En quarante cinq ans à Paris, je n’ai jamais vraiment gagné au Loto, sinon à peine quelques euros. Et voilà que je gagne le gros lot. Et pour gros, c’est en fait la plus petite créature du monde vivant. Ce minuscule virus, insignifiant et lâche par son invisibilité m’a touché sans la moindre politesse de se présenter à moi.

Tout d’abord, depuis des mois, ils vous montrent du doigt comme un potentiel vainqueur. Comme ces dizaines de publicités par jour qui vous assaillent en vous annonçant que votre numéro de téléphone a été tiré au sort pour gagner un Iphone, une voiture, une paquet de merguez. En effet, les respectables scientifiques en blouse blanche, toutes les minutes, sur les chaînes d’info en continu, vous assurent de la potentialité de votre tirage au sort avec un message qui glace le sang mais ne laisse aucun doute.

Les personnes âgés de plus de 65 ans, affirment-ils, plutôt des hommes et atteints d’une affection médicale particulière ont un pourcentage de chance de décéder qui atteint 85 %. Je vous assure que ce mot « chance » était dans leur langage car c’est effectivement celui que nous utilisions en cours de probabilité.

Bingo, je suis un homme, je viens d’atteindre 65 ans le 3 de ce même mois et je suis traité pour hypertension. Me voilà dans les médias, de plus en plus visé, cité et averti. Et comme tout le monde insistait, j’allais finalement et réellement gagner le gros lot. Il n’y avait plus aucune « chance » que je ne le gagne pas. L’incantation ne provoque jamais automatiquement la survenance d’un fait, et bien pour moi, cela fut démenti.

Un beau matin, vous vous levez avec quelques courbatures. Pas graves, vous veniez de faire, la veille, une petite séance d’exercices à la maison. Puis le second matin, vous vous réveillez avec deux fois plus de courbatures alors que la veille vous vous êtes dispensés de continuer le sport.

Au bout de trois jours, l’interrogation se transforme en suspicion. Le concert commence car la toux s’y met et une petite chaleur vous envahit, pas très importante mais suffisamment pour commencer à vous alerter.

Réveil à 5 h du matin, avec mon algéroise, car tous les laboratoires de Paris sont assaillis et le temps d’attente dans la queue peut aller jusqu’à quatre heures. Nous en avons fait trois. Nous l’avons échappé belle, la pluie s’était mise à tomber lorsque notre tour est arrivé. Encore un signe d’élu de la chance.

Voilà que je suis installé face à une jeune stagiaire biologiste appelée en renfort qui fait tout pour vous mettre à l’aise. Mais lorsqu’elle a sorti le long coton-tige de son étui stérile, j’ai failli tressaillir.

Alors, elle a prononça cette phrase entendue à la télévision des centaines de fois, qui a pour objectif de vous rassurer et qui, en fait, multiplie l’angoisse : « Ne vous inquiétez pas, c’est désagréable mais cela ne fait pas mal».

Au final, ce fut désagréable et cela fit mal. C’était interminable et je me demandais si le coton-tige n’allait pas aller jusqu’à l’estomac. Dans ces moments là, vos très maigres connaissances d’anatomie n’ont pas le temps de vous rassurer.

Les gens de ma génération se souviennent certainement de l’énorme seringue du médecin des années 60′ qui disait au petit enfant, avec une hypocrisie qui se lisait sur son visage même par les plus grands des illettrés, « N’aie pas peur, mon petit, ce n’est rien, ça va passer ! ».

Et bien, depuis ces temps-là, à Oran, je n’ai plus jamais eu confiance lorsqu’on vous assurait qu’il n’y aurait aucune douleur. Nous voilà donc sortis, avec une recommandation de vérifier nos messages sur SMS et mail dans 72 heures, au minimum. Comme l’histoire s’était engagée très sournoisement depuis le début, ce n’est pas en 72 heures que mes résultats parvinrent mais le soir même. C’était douteux !

Eh bien, là aussi, j’avais raison de me méfier car lorsque le PDF s’ouvrit après une série de codes que même la réserve d’or américaine à Fort Knox ne prévoit pas, un mot vous saute aux yeux car il est écrit en majuscules, POSITIF.

Mes chers lecteurs, à partir de cet instant vous n’avez même pas le temps de réagir que vous êtes cernés, encerclés, identifiés et surveillés par une multitude d’organismes officiels. On a l’impression qu’ils ont lu en même temps que moi le PDF, au-dessus de mon épaule.

C’est d’abord vers minuit un mail de l’AP-HP (les hôpitaux de Paris) qui vous annonce la démarche à suivre. Puis, au petit matin, c’est la Caisse Primaire d’Assurance Maladie qui vous appelle et qui, d’une voix douce de la dame, vous demande si vous allez bien. Elle n’a pas osé demander si j’étais mort.

Elle insiste pour que je donne mes contacts, je lui réponds qu’il y aurait les noms d’au moins trois cent étudiants et une soixantaine de professeurs sans compter le personnel administratif. Puis, après une seconde insistance, je finis par choisir deux collègues qui ont semblé être ceux que j’ai côtoyé le plus en partageant trois ou quatre repas ensemble.

Les pauvres, ils ont reçu l’appel de la dame leur demandant d’aller se faire tester sans qu’elle ait le droit de divulguer le nom de leur contact. J’imagine l’épouvante dessinée sur leur visage. Puis c’est au tour de votre chefe d’établissement qui vous dit qu’elle doit contacter les services du Rectorat et l’ARS (l’Agence régionale de santé).

Enfin, il faut aller voir d’urgence le médecin traitant, comme tout ce beau monde à mon chevet m’en donne presque l’ordre. Dix jours d’isolation, c’est la seule bonne nouvelle et un conseil de prendre sa température. Je n’ai plus de thermomètre depuis mon enfance à Oran, il y a un demi-siècle.

Et mon Algéroise ? Me diront ceux qui suivent depuis le début. C’est là, mes chers lecteurs, qu’il faut se persuader que le monde est injuste. Son premier test, celui fait ensemble, fut interprétable. Le second, fait trois jours après, car elle a attendu plus longtemps les résultats, annonce le fameux mot en majuscules sur le terrible PDF, mais pas le même : NÉGATIF.

Soit c’est une erreur, soit c’est une plaisanterie, soit c’est un cas unique dans les annales de la science ? Comment pouvez-vous penser autrement car, jusqu’à preuve du contraire, nous vivons ensemble. C’est, je crois, une habitude universelle entre époux.

Et, cela n’a pas raté, je l’attendais, c’est venu aussitôt, elle me dit avec un ton péremptoire « Une descendante du Dey d’Alger n’est jamais inquiétée par une minuscule bestiole ». Il faut avouer que c’est de bonne guerre car l’allusion au Dey d’Alger, c’est moi qui le lui répète depuis 35 ans. Mais, tout de même, l’effronterie se lavera au prochain match, au stade du 19 juin.

Voilà toute l’histoire racontée, bien entendu, au second degré et avec humour. Une tonalité qui évite de rappeler qu’il y avait une chance sur deux de me retrouver en réanimation. Et que c’est tombé du bon côté alors que d’autres n’ont pas eu cette chance d’être aujourd’hui vaccinés, comme moi, car ils ne sont plus là pour en vivre le bienfait. Qu’ils soient assurés de mes pensées attristées et de mon affection.

Aucun gros lot de la loterie ne vaut la bonne santé pour rester avec ceux qu’on aime. Surtout lorsqu’ils sont d’une descendance aussi prestigieuse que le Dey d’Alger.

*Enseignant

Le Quotidien d’Oran, 8 oct 2020

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