L’Union Africaine noyautée

Finalement, le retour (à moitié) du Maroc dans les rangs de l’UA (Union africaine), à l’époque OUA (Organisation de l’Union africaine), dont il avait claqué la porte depuis 32 longues années, ne s’est pas opéré sans arrière-pensées, ni manœuvres de coulisses d’une gravité extrême. Des documents exclusifs, dont des échanges de mails entre des cadres du ministère des Affaires étrangères, dont nous nous sommes procuré des copies, révèlent enfin le pot aux roses. Epoustouflant !

Par Ali Oussi :

Le Maroc était présent en tant qu’observateur au dernier sommet de l’UA, clôturé ce lundi à Kigali. Il a également formulé officiellement sa demande d’intégrer cette structure. Une demande qui fera qu’il reconnaîtrait de facto la RASD (république arabe sahraouie et populaire), étant donné qu’elle en est membre et que Rabat avait pris la décision d’en claquer la porte pour protester contre cette reconnaissance. Etait-il normal, dès lors, que le Maroc se tirât une balle dans le pied en formulant pareille demande ?

Des documents, tout aussi exclusifs que confidentiels de 2013 et 2014 révèlent enfin que le Maroc préparait ce retour en coulisses depuis des années, qu’il compte plusieurs complices parmi les pays membres et qu’il n’hésite jamais à mettre la main à la poche pour s’assurer du soutien des pays indécis. C’est ainsi qu’un document de juin 2014 indique que les ambassadeurs du Sénégal et de Côte d’Ivoire étaient à cette époque les informateurs attitrés du Maroc.

Le cadre qui a rédigé le rapport y indique que » ces entretiens (avec lesdits ambassadeurs) ont permis de savoir que le projet de l’ordre du jour adopté par le comité des représentants permanents ne comporte pas de point concernant la question du Sahara. » Il n’en ajoute pas moins, trahissant ainsi la fragilité de la position marocaine vis-à-vis de l’Afrique concernant sa politique coloniale, que, » malgré cela, il n’y a aucune certitude qu’un rapport distinct concernant le Sahara prévu par la décision de janvier 2013 ne soit présenté par le conseil de paix et de sécurité (CPS) qui est une instance à composition restreinte et dont le commissaire est M. Chergui, un Algérien qui a succédé à Lamamra. C’est un risque toujours d’actualité « .

Et pour expliciter comme il se doit le peu de cas, voire le mépris, que voue le Maroc à ses pairs du continent, le même document, ironique, ajoute que » le CPS pourrait être utilisé pour éviter un débat au sein du COREP, puisqu’il fait rapport directement à la conférence des chefs d’Etats. En effet, la matrice de la décision de janvier mentionne le CPS comme étant l’organe responsable de sa mise en oeuvre alors que la décision mandate la présidente de la commission.

Le recours à cette manœuvre de contournement pour escamoter le débat serait non conforme du point de vue procédural, puisque la décision stipule que le rapport sur le Sahara doit être présenté au conseil exécutif (donc, au Corep) par la présidente de la commission. Cependant, l’UA n’étant pas spécialement connue pour son orthodoxie en matière de respect de procédures (Sic !), il n’est pas exclu que le CPS soit utilisé pour atteindre les objectifs qui ne peuvent l’être autrement… « .

Dans un autre document, daté de juin 2014, on découvre de la manière la plus claire et explicite qui soit comment le Maroc utilise le chantage économique pour acheter la voix du Tchad. Le document cite un ministre tchadien qui se serait exprimé en ces termes : » Il est vrai que le Maroc qui commence à montrer un intérêt économique réel pour le Tchad « …

Le même ministre, chef de la diplomatie tchadienne à l’époque (rien que ça !), va encore plus loin (pour qui connait la géographie et l’histoire de la région, il est facile de saisir la nature et la gravité du propos) en ajoutant que » nous étions par le passé pris en otage par l’Algérie et par la Libye qui nous guettaient. Aujourd’hui, nous avons une plus grande marge pour agir sur ce genre de question « .

Durant la même période, un autre document énumère les pays qui soutiendraient la politique marocaine ou ceux qui sont contre, au demeurant, largement majoritaires. C’est donc en vue d’effectuer un travail de lobbying, quitte à faire voler en éclat l’UA, que le Maroc tente aujourd’hui d’en réintégrer les rangs. Preuve en est un mail daté de juin 2014, adressé au chef de la diplomatie marocaine, lui-même, Salah Mezouar, où on découvre même son adresse mail, il est fait état de » travail de lobbying « . Celui-ci, relatif au sommet Afrique-Europe, a consisté à empêché que les pays du continent noir n’imposent à ce sommet les membres de l’UA, et donc de la RASD, au détriment du Maroc. Au lieu de quoi, Rabat, avec ses manipulations, a imposé les Etats africains, donc, le Maroc au lieu de la RASD, non encore reconnu en tant qu’Etat par l’ONU. A la lumière de ces graves révélations, on se rend compte que l’UA vient d’admettre en son sein une dangereuse taupe, une vipère qui n’hésite jamais à mordre pour faire très mal, voire tuer ! Méfiance !

La Tribune des lecteurs, 20 jui 2016