Quitter l’Algérie avec regrets

Il fallait bien que tout ait une fin, après douze ans j’étais devenu à moitié algérien à tel point que j’avais les cheveux frisés et une moustache. Je me demandais quand même ce que j’allais bien pouvoir regretter après avoir quitté ce pays d’adoption. En fait il ne m’a pas été difficile d’en faire une liste (mais non exhaustive) :

– La mer Méditerranée, tout d’abord, près de laquelle j’ai passé beaucoup de temps, dedans en chasse sous-Marine, en surface à la nage ou au-dessus en planche à voile.

– Le climat qui me permettait de rester en chemisette tout au long de l’année.

– Les paysages grandioses du Sud et les nombreuses missions que j’y ai effectué (un professeur de biologie ne fait pas de tourisme mais effectue des missions de terrain).

– Les étudiants, très attentifs, qui buvaient mes paroles lorsque je leur faisais cours ce qui était très agréable et très motivant, et que je n’ai malheureusement pas retrouvé en France.

– Les coopérants et les coopérantes de toutes nationalités, française, belges, béninois mais ex dahoméen, polonais, égyptiens, indien, corses, (hé oui, pays amis depuis les dernières régionales !) expatriés comme moi et avec lesquels j’ai vécu les multiples aventures que je vous ai racontées mais je crains d’en avoir oubliées quelques unes (n’hésitez pas à me le signaler).

– Quelques collègues algériens que je fréquente encore, surtout celui avec qui j’écris des ouvrages scientifiques à succès. Pour la plus part, ils ne m’ont pas oublié; je le vérifie à chaque fois que je rencontre l’un ou l’autre de mes anciens étudiants devenus universitaires, en visite à l’université du Maine.

– Les lacs salés ou sebkhas dans lesquels j’ai passé pas mal de temps à torturer une petite plante qui ne m’avait rien demandé, mais pour une bonne cause, la Science, mais du coup, elle est passée à la postérité et devrait me remercier.

– L’aventure qui est souvent au coin de la rue quand on est expat !

– Les souks surtout ceux du Maroc dans lesquels j’adorais fureter.

– Le couscous viandes à 3 dinars que je consommais au début de mon séjour dans les gargotes de Ville Nouvelle alors que ma femme prenait un couscous légumes à 1 dinar 50 afin de respecter les traditions locales.

– Les parties de tennis qui occupaient mes fins de journées.

– Les voyages en classe affaires sur Air France lors desquels j’ai souvent dégusté du caviar et du champagne millésimé (époque malheureusement révolue, maintenant sur Air Frances on a droit à un sandwich en pain tout mou pour ne pas faire de miettes, d’un autre coté il y a bien longtemps que je n’ai plus voyagé en classe affaire !).

– Ma jeunesse, bien sûr, alors pleine d’espoir et d’idéal, allant participer au développement d’une jeune université dans un jeune pays, mais vite déçu par la vie de tous les jours dans un pays en construction se voulant socialiste, mais s’inspirant un peu trop du régime soviétique.

En effet, en Algérie, dans les années 70 tout était centralisé et à la charge de l’état, les logements lui appartenait, les sociétés nationales très nombreuses et très inspirées du système soviétique contrôlaient toute l’économie, l’armée était une entreprise de travaux publics, l’unique banque était publique. La presque totalité des travailleurs étaient rémunérés par l’état; même les paysans ce qui pour eux n’était pas très stimulant et expliquait en partie les fréquentes pénuries de légumes.

Ce jeune pays, jadis grenier à blé de la France, avait des difficultés avec l’agriculture ce qu’avait bien repéré l’agronome René Dumont lors d’une sortie sur le terrain dans la région de Mostaganem. Pour l’anecdote accompagnant une délégation de l’ITA (institut de technologie agricole) il avait été le seul à prévoir des bottes pour aller dans les champs alors que tous les jeunes ingénieurs avec leurs chaussures cirées étaient restés sur la route goudronnée. À partir de cet événement, il avait émis des réserves sur l’avenir de l’agriculture en Algérie. La fonctionnarisation des fellahs lors de la construction intensive des villages socialistes voulue par le président Houari Boumediene n’a pas amélioré la situation.

Dans l’industrie la gestion était trop centralisée, le président appliquant le principe de l’industrie industrialisante des soviétiques, Il y avait une surproduction d’acier et pour l’utiliser on installait autour des immeubles des grilles massives ce qui n’était pas du meilleur effet d’un point de vue urbanistique. Seul la Sonatrach (le gaz et le pétrole) indépendante et état dans l’état, tirait son épingle du jeu grâce à ses grosses rentrées d’argent.

La population manquait cruellement de logements aussi l’Algérie était un vaste chantier mais qui manquait de ciment et pourtant une grande cimenterie très moderne avait été construite près d’Oran par une société française dont je fréquentais quelques cadres. Malheureusement trop sophistiquée elle était souvent en panne, heureusement pour sauver la mise des responsables, sur le même site, l’ancienne cimenterie reliquat de la colonisation avait été conservée et fonctionnait toujours produisant l’essentiel du ciment mais en quantité bien insuffisante.

Toutefois l’Algérie, grâce aux revenus gaziers et pétroliers, nourrissait sa population en soutenant le prix des produits alimentaires de première nécessité comme la farine, l’huile, le beurre, la semoule, le sucre ou le café. Par contre d’un point de vue nutritionnel, ce n’est pas excellent.

Dans la cité populaire des Amandiers, où j’ai vécu les trois premières années de mon séjour, le père de famille algérien achetait chaque jour chez le « soussi » (l’épicier) autant de « tipana » (baguettes de pain) qu’il avait d’enfants, 100 g d’olives pimentées et deux ou trois litres de lait reconstitué; un tipana sur lequel l’enfant frottait son olive, un verre de lait et c’était le repas pour la journée. Le dimanche, pardon le vendredi, le père allait acheter chez le boucher de la cité (un peu escroc) quelques dizaines de grammes de poulet que cet honnête commerçant pesait avec précision en le plaçant sur du papier très épais si bien que le père de famille payait surtout du papier. Ce petit morceau de poulet était ensuite placé dans le couscous, ainsi les enfants avaient le goût de la viande mais c’était le père qui la mangeait. 30 ans après, l’Algérie continue à soutenir le prix de ces produits, ce qui crée un trafic important avec les pays voisins où ils sont beaucoup plus chers. C’est ce que m’ont expliqué mes collègues nutritionnistes lors de mon dernier séjour. Logés ensuite en centre ville dans un appartement mal orienté (il fallait se pencher pour voir la mer), j’ai perdu le contact avec cette population miséreuse, mais j’espère que depuis leur situation c’est améliorée.

Cette fois c’est terminé pour l’Algérie mais pas totalement avec le Maghreb où je suis retourné professionnellement de temps en temps mais dans les deux pays voisins, le Maroc et la Tunisie donc des anecdotes à venir. Mais tout d’abord, mon intégration à l’université du Maine, ce sera la saison 3 dès la semaine prochaine.

Source : PRGG, 12 mars 2016

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