Comment le Maroc détourne les ressources du Sahara Occidental

Le Maroc, en refusant la tenue du référendum d’autodétermination décidé par l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1991, cherche à gagner du temps dans son conflit avec le Sahara Occidental pour maintenir un statu quo en sa faveur. En effet, cette situation lui permet de détourner les ressources naturelles du peuple sahraoui, en complicité avec des firmes multinationales qui y trouvent leur profit. Loin d’être un simple bout de désert sans intérêt, ce pays est assis sur de grandes richesses, dont l’exploitation de type colonial se poursuit à nos jours. Il s’agit bien d’un cas de décolonisation inachevée.

Après une guerre de guérilla déclenchée le 4 mars 1976 par l’Armée de libération populaire sahraouie (ALPS) contre les forces d’occupation du Maroc et de la Mauritanie, qui ont occupé le Sahara Occidental après le départ des Espagnols en 1975 (Accords de Madrid), un cessez- le-feu entre le Maroc et le Front Polisario (la Mauritanie s’étant retirée du conflit en 1979) est imposé en 1991 par l’ONU, avec un plan de règlement comprenant l’organisation d’un référendum d’autodétermination.

56 sociétés internationales autorisées par Rabat à opérer au Sahara occupé

Depuis la fin d’une guerre qui a duré 16 ans, Rabat tergiverse pour contourner le plan de décolonisation de l’ONU. Alors que le précédent roi du Maroc, Hassan II, l’avait accepté, son héritier, Mohamed VI, le refuse et tente de lui opposer depuis 2006 une autre option : l’autonomie. Mais celle-ci est rejetée à son tour par le Polisario, puisqu’elle ne reconnaît pas l’indépendance et la souveraineté du peuple sahraoui et son droit de choisir son destin et de gérer librement son territoire et ses ressources.

Pour les Sahraouis, la France, qui soutient le plan marocain d’autonomie, est «le plus grand obstacle» à l’autodétermination. Bassiri Moulay Hassen, membre de la représentation du Front Polisario en Belgique, a déclaré récemment que l’opposition de la France, membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, à la tenue du référendum est dictée par le souci de «préserver ses intérêts économiques» dans la région. Ce soutien français confère une sorte d’impunité à Rabat qui défie ainsi les Nations unies qui ont inscrit depuis 1966 le Sahara Occidental sur la liste des territoires non autonomes, en vertu de la Résolution de 1960 sur l’indépendance aux pays et peuples coloniaux.

Ce statu quo est mis à profit par les autorités marocaines pour exploiter au maximum les richesses des Sahraouis, qui sont eux réduits à la pauvreté et à l’exploitation sous l’occupation ou à l’exil, vivant de l’aide internationale dans des camps de réfugiés, à Tindouf, en Algérie, pays voisin qui soutient (comme d’autres Etats africains) le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.

Les ressources naturelles du Sahara Occidental sont ainsi livrées à un pillage organisé par les autorités marocaines, avec la complicité de plusieurs firmes étrangères et l’appui de puissances occidentales, comme la France et l’Espagne, qui y’trouvent leur compte. Aucun embargo, aucun boycott, aucune sanction, pourtant utilisés dans le cas d’autres pays, n’ont été décrétés par la communauté internationale contre des entreprises qui violent le droit international en matière d’exploitation des ressources d’un pays sous occupation.

Un statu quo qui profite au Maroc et aux multinationales

«Sans doute que le pillage illégal des ressources naturelles du Sahara Occidental par la monarchie marocaine et ses alliés est un grand obstacle qui alimente la continuité du conflit, car, à travers ces revenus, le Maroc achète les armes, finances les lobbies et achète les positions des pays pour cautionner son occupation. Et ceci ne peut que retarder le référendum et augmenter les souffrances du peuple sahraoui», soutient le président de l’autorité sahraouie du pétrole, le docteur Ghali Zubair.

Selon lui, pas moins de 56 sociétés, de différentes nationalités et de différents continents, ont signé des contrats avec le Maroc et sont présents dans divers domaines d’activités économiques dans le territoire du Sahara Occidental. Il y a 9 entreprises dans la pêche, 18 dans l’exploration pétrolière et gazière, 7 dans l’électricité et les énergies renouvelables, 18 dans les phosphates, 4 dans l’exploration minière, 2 dans l’agriculture et autant dans le financement et les services.

Mais le combat mené de longue date par le peuple sahraoui, soutenu par des ONG européennes, contre ce pillage commence à porter ses fruits, comme l’invalidation par la Cour européenne de justice (CJUE) de l’accord de pêche Maroc-UE signé en 2014 permettant à des bateaux de pêche européens d’opérer dans les eaux du Sahara Occidental.

Cet accord est invalidé le 10 janvier 2017 par l’avocat général de la CJUE, Melchior Wathelet, «du fait qu’il s’applique au Sahara Occidental et aux eaux y adjacentes». Il a estimé qu’en concluant cet accord, l’union, qui a violé son obligation de respecter le droit du peuple du Sahara Occidental à l’autodétermination, «n’a pas mis en place les garanties nécessaires pour assurer que l’exploitation des ressources naturelles du Sahara Occidental se fasse au bénéfice du peuple de ce territoire non autonome».

Cependant, selon les dernières informations, la Commission européenne a renégocié l’accord en question et signé le 31 janvier 2018 à Bruxelles un avenant avec le gouvernement marocain, sans tenir compte de la décision de la Cour de justice européenne (CJUE) qui, dans son arrêt du 21 décembre 2016, disposait que le Sahara Occidental est un territoire «séparé et distinct» du Maroc, et que, par conséquent, le consentement de ses représentants à tout accord commercial ou d’association de l’UE affectant leur territoire est obligatoire.

La Commission européenne «fait preuve d’un mépris flagrant pour le jugement de la Cour de justice et entrave les efforts de paix de l’ONU au Sahara Occidental», estime l’Observatoire des ressources du Sahara Occidental (WSRW), qui joue un grand rôle dans la lutte contre le pillage des ressources du Sahara Occidental. Selon l’observatoire, d’autres pays européens, «tels que la Norvège, la Suisse, l’Islande, le Liechtenstein, et les Etats-Unis ont des accords commerciaux légaux avec le Maroc qui ne s’appliquent explicitement pas au Sahara Occidental. L’UE, sous la pression française, hésite à suivre cette voie».

Le ministre délégué auprès de l’Europe et membre du secrétariat national du Front Polisario, Mohamed Sidati, invité par la Commission européenne à Bruxelles, a exprimé sa «préoccupation» devant «les tentatives en cours pour inclure le Sahara Occidental dans les accords commerciaux UE-Maroc sans le consentement du peuple sahraoui à travers son représentant légitime, le Front Polisario». Ce dernier s’oppose à «tout accord économique entre l’UE et le Maroc qui n’exclut pas explicitement le Sahara Occidental du champ d’application».

Mais certains pays comme la Suède ont d’ores et déjà exprimé leur rejet de cette reconduction. Le ministre des Affaires rurales, Sven Erik Bucht, a annoncé que son pays votera «non» et qu’il « refusera chaque nouvel accord de partenariat entre l’UE et le Maroc dans le domaine de la pêche tant qu’il inclura les eaux territoriales sahraouies».

Il pourrait être suivi par le Danemark, dont la ministre de l’Egalité des chances, Karen Ellemann, a indiqué que le gouvernement danois examinera tout accord de partenariat avant son adoption pour s’assurer de sa conformité à la légalité internationale. L’Association danoise des amis de l’ONU avait appelé à voter «non» et exhorté «la Commission européenne à prôner la stabilité et la paix dans la région, à les placer au-dessus des intérêts commerciaux avec le Maroc».

Après son invasion en 1975, lors de la «marche verte», pour annexer le Sahara Occidental, le Maroc exploite les ressources naturelles de ce pays sans vergogne. Cette exploitation «lui a permis, en partie, de financer la guerre et d’ancrer durablement cette occupation coloniale», estime Sahara Info, le site de l’Association des amis de la République arabe sahraouie démocratique. En 1998, le Maroc, qui occupe 80% du territoire sahraoui, construit un mur de séparation pour mieux isoler le «Sahara utile» et en exploiter les ressources «en toute sécurité».

Selon plusieurs témoignages publiés dans la presse internationale, sur la route reliant Laâyoune à Dakhla (où le roi Mohammed VI a inauguré la nouvelle halle au poisson en février 2016), de nombreux camions transportent poulpes et poissons blancs pêchés dans les eaux sahraouies, qui sont parmi les plus poissonneuses au monde. La pêche dans les «provinces du Sud» (nom donné par le Maroc au Sahara Occidental) représente 78% des captures marocaines et «génère une richesse immense», d’après un reportage du mensuel français Le Monde Diplomatique en mars 2014.

Tout comme les poissons, les produits agricoles sont quotidiennement convoyés au Maroc, avant d’être expédiés vers le marché européen. La tomate de Dakhla est acheminée à Agadir, au Maroc, où elle est conditionnée sous le label «Maroc», puis commercialisée sur les marchés européens sous les marques Etoile du Sud, Idyl, Azura, qui sont des sociétés franco-marocaines. La France est le premier partenaire commercial et le principal investisseur étranger au Maroc (70% des IDE).

«La France contribue activement à ce statu quo en défaveur des Sahraouis», estime Le Monde Diplomatique, en soulignant que «les autorités marocaines déploient une intense activité pour convaincre que l’exploitation économique profite à la population du territoire». Elles multiplient les annonces de nouveaux programmes d’investissement (…) et «le Makhzen (le palais) fait tout pour accréditer l’idée que les Sahraouis profitent des richesses naturelles».

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Le Maroc a lancé en 2013 un gigantesque programme d’investissement de plus de 12 milliards d’euros sur une période de dix ans visant à créer 120 000 emplois pour «développer les provinces du Sud». «Le roi Mohammed VI veut développer et pacifier le Sahara Occidental en attendant un règlement du conflit aux Nations unies», note Le Figaro.

Les firmes Glencore, Kosmos et Capricorn se retirent

Le retrait de Glencore, multinationale pétrolière suisse, de l’exploration pétrolière a été suivi par celui de Kosmos Energy (Etats-Unis) et Capricorn Exploration & Development Company Ltd (Royaume-Uni), dans le même bloc Boujdour, où elles opéraient depuis plusieurs années avec une licence octroyée par l’Office national des hydrocarbures et des mines du Maroc (ONHYM).

Le retrait de Glencore, présente depuis 2013 sur le bloc Boujdour, intervient après les pressions exercées par plusieurs investisseurs internationaux, des banques et des bailleurs de fonds, qui ont refusé de s’impliquer dans ces projets illégaux du fait qu’ils concernent un territoire occupé. L’ONU avait énoncé en 2002 qu’aucune exploration pétrolière ne peut avoir lieu sans le consentement du peuple sahraoui.

Pour l’observatoire WSRW, le retrait de Glencore «peut contribuer au processus de paix», car «tant que le Maroc continue de signer des accords avec des entreprises étrangères pour l’exploration pétrolière dans le territoire qu’il occupe, il rejettera toute proposition onusienne de négociation».

Les pressions juridiques et éthiques contre les sociétés étrangères impliquées dans des projets marocains ont fini par avoir gain de cause de la société canadienne Nutrien, «le plus gros importateur» des phosphates, qui a annoncé le 25 janvier dernier son intention d’arrêter ses importations suite à la fin du contrat entre la société canadienne Agrium et l’OCP en 2018. Il faut savoir qu’Agrium et Potash Corp (Etats-Unis) ont été mises sur la liste noire de plusieurs investisseurs institutionnels pour non-respect du droit international et des droits humains au Sahara Occidental.

Le pillage des phosphates, ressource historique du Sahara Occidental, a rapporté plus de 300 millions de dollars en 2013 à l’Office chérifien des phosphates (OCP) et plus de 200 millions de dollars en 2016, selon WSRW. La mine à ciel ouvert de Boucraâ, qui fournit l’un des meilleurs minerais au monde, est exploitée depuis 1962. «Après le départ des colons espagnols», le Maroc «a pu contrôler Phosboucraâ», en accord avec l’occupant antérieur, l’Espagne, qui en est «restée actionnaire jusqu’en 2002», a révélé Le Monde Diplomatique.

Sur le plan judiciaire, la lutte menée par le Front Polisario et les ONG contre les acteurs du commerce illégal du phosphate du Sahara Occidental a connu au cours de l’année écoulée plusieurs succès, comme le cas du navire NM Cherry Blossom qui transportait 55 000 tonnes, en route pour la Nouvelle-Zélande et qui a été arraisonné à Port-Elizabeth, en Afrique du Sud. Trois semaines après, en mai 2017, un second bateau, le danois Ultra Innovation, faisant route vers le Canada, a été stoppé au moment où il traversait le canal de Panama.

Outre les riches gisements de phosphates découverts par l’Espagne en 1947, le sous- sol sahraoui contient d’autres minerais et matières premières qui suscitent bien des convoitises des multinationales, tels que le fer, le titane, le manganèse, l’uranium, le titanium et le vanadium, et probablement, l’antimoine et le cuivre, selon le site de ressources documentaires Irénées. Il faut ajouter le sel et le sable illégalement exportés vers la France et les Iles Canaries.

Afin de contrer la politique coloniale de spoliation et de pillage, les militants sahraouis, aidés par des ONG européennes solidaires, mènent un combat de longue date. Mais cette résistance va connaître un essor à partir de 2010, avec les nouvelles générations de Sahraouis vivant sous l’occupation, à travers notamment la naissance du mouvement de masse Gdeim Izik de Laâyoune. Celui-ci a mis au centre de ses revendications «la souveraineté sur les ressources naturelles».

Ce mouvement fut du reste violemment réprimé par les forces d’occupation marocaines et ses animateurs arrêtés, dont le président du Comité sahraoui pour la protection des ressources naturelles au Sahara Occidental, S. Lemjiyed, condamné à la prison à vie. Une campagne internationale de dénonciation est toujours en cours pour exiger sa libération et celle de ses camarades.

Le Maroc, qui a interdit l’entrée dernièrement à deux avocates françaises venues rendre visite à des détenus politiques, vient d’être interpellé pour manque de respect des droits des 23 prisonniers politiques de Gdeim Izik, dont «le choix des avocats». Des ONG ont rappelé que la condamnation en juillet 2017 de ces prisonniers à de lourdes peines, dont certaines à la réclusion à perpétuité, s’est faite suite à un «procès manifestement inéquitable».

La résistance sahraouie face à l’occupation ne date pas d’aujourd’hui, elle plonge ses racines dans le combat mené par les tribus berbéro-arabes dès les premières incursions coloniales, notamment françaises et espagnoles, qui dominaient le Sahara et la région de l’Afrique de l’Ouest au XIXe siècle. Le plan de partage établi à la Conférence de Berlin de 1885, qui dessina les nouvelles frontières en fonction des intérêts des empires coloniaux de l’époque, a attribué à l’Espagne le Rio de Oro, qu’elle occupera réellement qu’après 1934, suite à la découverte de la mine de phosphate de Boucraâ.

Cette résistance, qui s’est radicalisée avec la naissance du mouvement de libération national sahraoui représenté par le Front Polisario, qui a déclenché le 20 mai 1973 la guerre à l’Espagne, puis contre le nouvel occupant marocain, se poursuit aujourd’hui sur le plan politique et diplomatique, avec comme principal enjeu économique, le contrôle des matières premières et des richesses halieutiques.

Le Maroc, en rejetant le référendum et les négociations directes avec le Polisario, a mis au point mort le plan de paix onusien, avec le risque d’un possible retour aux armes, car le Front Polisario ne peut laisser durer éternellement ce statu quo en sa défaveur. Il menace régulièrement de reprendre la lutte armée, surtout que les nouvelles générations de Sahraouis sont moins patientes et veulent en découdre avec l’occupation et l’oppression.

Mais une nouvelle guerre est-elle dans l’intérêt des peuples de la région, qui souffrent de la crise économique et sociale, avec ses conséquences sur la jeunesse, comme le chômage et l’émigration clandestine ? La communauté internationale peut peser de tout son poids pour amener les deux parties à reprendre les négociations directes et «sans conditions préalables» afin de trouver une solution à ce conflit, comme l’a recommandé le dernier sommet de l’Union africaine (UA).

Les efforts du nouvel Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU au Sahara Occidental, Horst Köhler, l’ancien président allemand, pour relancer le processus de paix seront-ils soutenus par la communauté internationale ? Pour l’instant, il vient de recevoir l’appui du Royaume-Uni, dont le ministre d’Etat chargé des affaires du Commonwealth, Alistair Burt, a indiqué, après un «échange de vues très utile» avec Horst Köhler (en marge de la conférence de Munich sur la sécurité), que «le Royaume-Uni soutient pleinement le processus mené par l’ONU pour parvenir à une solution politique durable et mutuellement acceptable» dans le conflit du Sahara Occidental.

Un autre pays membre permanent du Conseil de sécurité, et non des moindres ; la Russie, vient également d’annoncer son soutien au processus de paix onusien, par la voix de son chef de la diplomatie. «La Russie soutient la tenue de négociations directes entre les deux parties en conflit du Sahara Occidental, à savoir le royaume du Maroc et le Front Polisario», a indiqué Sergueï Lavrov lors d’une conférence de presse conjointe avec le ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, en visite de travail à Moscou.

Avec de tels soutiens affichés, Horst Köhler pourra-t-il convaincre le Maroc de s’assoir à la table des discussions avec le Polisario ? Si la Chine et les Etats Unis, membres permanents du Conseil de sécurité, décident d’en faire autant, la France ne sera-t-elle pas amenée à revoir sa copié ? La communauté internationale saura-t-elle prendre les mesures qui s’imposent pour contraindre les entreprises qui font du commerce illégal au Sahara Occidental et à contraindre le Maroc à appliquer le droit international ? Il faut l’espérer, car la zone de l’Afrique du Nord Moyen-Orient n’a pas besoin d’une nouvelle guerre, alors que de nombreux foyers sont encore allumés.

Par Houria Aït-Kaci

Algérie Patriotique, 24 fév 2018

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