Swissleaks, HSBC, Hollande et Mohamed VI

Décidément le « chef de guerre » de la Françafrique n’a pas de chance. Au moment où il célébrait la réconciliation de la France avec le Maroc sur fond d’une longue brouille diplomatique de près d’un an – Paris avait eu le malheur d’arrêter un officiel marocain accusé de tortures et d’enregistrer un dépôt de plaintes en France contre de hauts dignitaires marocains pour les mêmes motifs – Le Monde révélait que le roi chérifien, Mohammed VI, avait déposer sur les comptes suisses de la banque britannique HSBC des millions d’euros. En effet, d’après Le Monde, « entre l’automne 2006 et le 31 mars 2007, soit la période couverte par les listings que le quotidien français a pu consulter, « le montant maximal enregistré sur ce compte était de 7,9 millions d’euros ». Or, il est en principe illégal, pour des Marocains résidant au Maroc, de détenir un compte bancaire à l’étranger.

Sauf si on est le roi, apparemment. Selon Forbes, Mohamed VI dispose d’une fortune de près de 2 milliards d’euros. Et les méthodes d’évasion fiscale ne surprendront pas grand monde au Maroc même si il est de bon ton de ne pas aborder ce genre de sujet pour éviter le passage par la case prison.

En Françafrique, c’est une méthode usuelle et l’évasion fiscale passe par les pays au largesse fiscale dont la Suisse, le Luxembourg, et…Monaco. Ainsi les Trabelsi sous la dynastie Ben Ali, en fuite au Canada, possédait plus de 26 millions de dollars chez HSBC en Suisse. Par contre concernant le blanchiment d’argent à Monaco, on assiste à une certaine retenue dans le P.A.F. même si le sujet a été traité dans la presse hexagonale (voir plus bas). Allez savoir pourquoi ?

Souvenons-nous de l’affaire de la « lessiveuse africaine » :

Le Monde.fr | 16.05.2013

Par Mathilde Damgé 

L’ »affaire » ressort jeudi 16 mai dans les médias, avec un article dans Libération. Le quotidien décrit « le vaste système de blanchiment d’argent venu d’Afrique » mis en place par BNP Parisbas Wealth Management Monaco, filiale de la banque dans la Principauté. Auparavant, l’agence Reuters et le Canard enchaîné avaient déjà levé une partie du voile dans cette affaire. En avril dernier, ils relayaient les informations détenues dans un document interne révélant que BNP Paribas n’avait pas exercé suffisamment de contrôles sur les transactions de clients basés en Afrique et sur ses activités de banque privée à Monaco. Jeudi, le procureur de Monaco, Jean-Pierre Dreno, joint par téléphone, reconnaît avoir reçu un signalement concernant des soupçons de réseau de chèques blanchis en Afrique et encaissés à Monaco.

Concrètement de quoi s’agit-il ? Des touristes français étaient incités à régler leurs achats en chèques, et donc en euros, dans plusieurs pays africains (Madagascar, le Gabon, le Burkina Faso, le Sénégal et la Côte d’Ivoire) sans indiquer l’ordre. Un chèque sans ordre était revendu par le commerçant qui l’avait reçu à quelqu’un désireux de blanchir des revenus peu avouables. Cette personne payait un peu plus cher que la valeur du chèque, indiquée par le touriste en monnaie locale.

Puis elle confiait ensuite ce chèque, toujours non attribué, à une troisième personne titulaire d’un compte monégasque BNP Paribas, qui inscrivait enfin son nom sur la ligne bénéficiaire. Lui qui était devenu le porteur du chèque versait alors l’équivalent de sa valeur en euros au « blanchisseur », moins, probablement, une petite commission pour ses services.

COUP DOUBLE POUR LES TRAFIQUANTS

Coup double pour les trafiquants : sortir de l’argent d’un pays où les réserves de change sont contrôlées, tout en dissimulant des revenus. Libération rapporte les confidences d’un ancien salarié (par ailleurs en procès avec la banque, aux prud’hommes de Monaco, où il conteste son licenciement). « Tous les jours, on recevait des dizaines d’enveloppes Fedex », raconte-t-il.

« Les assistantes du service Afrique se plaignaient de n’avoir à faire que cela. » Car le système aurait fonctionné à plein régime, un « apporteur d’affaires » malgache ayant ainsi déposé 284 chèques pour un montant de 10,2 millions d’euros, entre 2008 et 2011. L’argent aurait ensuite été transféré sur d’autres comptes en Chine, en Belgique et en Suisse.

MISSION MALGACHE

« Pour ouvrir une information, explique Jean-Pierre Dreno, il me faudrait ce fameux rapport interne. Les informations qui nous on été communiquées par l’ancien salarié ont apporté assez peu d’éléments de preuve. Je fonde plus d’espoir sur une enquête de police. »

Le document en question, un audit interne, transmis à la direction de la banque française en octobre 2011, et qui s’est concentré sur les opérations en lien avec Madagascar, révèle que la filiale monégasque du groupe, BNP Paribas Wealth Management, a accepté d’encaisser plusieurs milliers de chèques en euros émis à Madagascar entre 2008 et 2011, sans vérifier leur origine.

« Ces opérations irrégulières portaient sur des petits montants unitaires. L’examen des flux effectués par la banque a permis d’identifier une augmentation du nombre de ces opérations, a attiré l’attention du management local de BNP Paribas et a suscité une mission de l’inspection générale de la banque », a déclaré ensuite à Reuters une porte-parole de BNP dans un courrier électronique.

« Cette mission, qui a pris fin en octobre 2011, a conclu à l’existence d’opérations susceptibles d’être en infraction avec la réglementation du pays de domicile des clients et en conséquence, les quelques dizaines de comptes concernés ont été fermés et les mesures nécessaires ont été prises pour renforcer les contrôles et éviter que ce type d’irrégularités se reproduise », ajoute-t-elle.

NOUVEAU COUP DUR POUR LA BANQUE

Certes, l’enquête risque de buter sur le fait que la fraude au contrôle des changes dans les pays africains concernés n’est pas une infraction en Europe. Certes, l’infraction sous-jacente au blanchiment (escroquerie, trafic de stupéfiants…) risque d’être difficile à prouver. Certes, il faudra compter avec les difficultés habituelles des demandes d’entraide judiciaire, en particulier avec des pays qui n’adhèrent pas à la convention contre les drogues et le blanchiment de l’ONU (l’UNODC, Office des Nations unies contre la drogue et le crime)…

Mais le combat de la principauté n’est pas anodin : « Il y a des prises de guerre qui peuvent être intéressantes, on parle de millions d’euros », confie Jean-Pierre Dreno. Car, quand les sommes gelées sont saisies par la justice, elles sont partagées entre les pays parties prenantes, souvent moitié-moitié.

Victoire pas seulement financière, mais aussi symbolique, dans un contexte de lutte contre les paradis fiscaux, ce que Monaco se défend d’être depuis que le Rocher a officiellement pris l’engagement de mettre en œuvre les principes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de transparence et d’échange effectif de renseignements en 2009.

Dans cette affaire, la banque se défend aujourd’hui en expliquant : « Les pratiques identifiées concernaient des comptes de clients de différents pays africains. Ces comptes étaient liés à une activité commerciale réelle (hôteliers, commerçants…) et pouvaient recevoir des remises de chèques pour faciliter les achats sur place de touristes ou d’expatriés français sans compte dans les banques locales. »

Quant à savoir si de telles pratiques pourraient toucher d’autres branches de gestion de fortune de BNP Paribas Wealth Management, la banque répond : « Nos procédures en la matière ont été renforcées. »

C’est un nouveau coup dur pour la banque après l’affaire Luxumbrella, qui avait montré une volonté de dissimulation et d’optimisation fiscale, à tout le moins ; le produit de défiscalisation Luxumbrella a depuis cessé d’être commercialisé.

Début avril, la banque avait ensuite dû ensuite affronter les révélations Offshore Leaks et la mise au jour que BNP Paribas et Crédit agricole avaient supervisé la création de sociétés offshore dans des paradis fiscaux à la fin des années 1990 et dans les années 2000.

Onde de chèques à BNP Monaco

Libération – 15 mai 2013

Par Nicolas Cori

La filiale monégasque de la première banque de France aurait mis au point un vaste système de blanchiment d’argent venu d’Afrique. L’affaire, révélée par l’ONG Sherpa, embarrasse le groupe.

L’évasion fiscale, cela ne concerne pas que les pays riches. En Afrique, les fraudeurs font sortir des milliards de devises du continent. Et, pour les aider, il y a les banques. Ainsi, BNP Paribas Wealth Management Monaco, filiale monégasque de la première banque française, est soupçonnée de blanchiment d’évasion fiscale et de fraude au contrôle des changes au détriment d’au moins quatre pays africains : Madagascar, Gabon, Sénégal, Burkina Faso. Selon Jean Merckaert, de l’association Sherpa, qui a révélé l’affaire et saisi la justice monégasque, « cela pourrait concerner des dizaines, voire plus d’une centaine de millions d’euros ». Un ancien salarié, licencié pour avoir alerté sa hiérarchie sur ces pratiques, conteste aujourd’hui son éviction devant les prud’hommes de Monaco. L’affaire gêne la banque, qui se targue d’être irréprochable en matière éthique.

Grain de sable. « La lessiveuse africaine », c’est ainsi qu’est surnommé par certains salariés le système astucieux mis en place par BNP Paribas Monaco au début des années 2000. Pour fonctionner, il nécessite la collaboration involontaire de touristes français en voyage en Afrique. Au lieu d’avoir à régler en francs CFA leurs nuits d’hôtel, on leur propose de payer en euros avec leur carnet de chèques, en laissant le nom du bénéficiaire en blanc. Un trafic se met en place : les chèques sont revendus à des compatriotes disposant d’un compte en banque à BNP Paribas Monaco, endossés par ces derniers, et envoyés par courrier à leur banque, qui les encaisse. Pour les participants au trafic, l’intérêt est double : sortir illégalement de l’argent d’Afrique, alors que le contrôle des changes impose de passer par des bureaux de change agréés, et cacher au fisc ses véritables bénéfices commerciaux. Les autorités bancaires françaises, qui gèrent les compensations entre la France et Monaco, n’y voient que du feu : de l’extérieur, les chèques ont l’air de traduire des opérations effectuées en Europe, pas en Afrique.

Jusqu’en 2011, la « lessiveuse » tourne parfaitement. Au centre du dispositif, les commerciaux de la cellule Afrique de BNP Paribas Monaco, qui se partagent le continent. Pour démarcher de nouveaux clients, ils comptent sur les « apporteurs d’affaires », des hommes d’affaires locaux chargés de faire les rabatteurs. Certains se voient confier le soin de centraliser les chèques. Ainsi, selon un document interne de BNP Paribas, un apporteur d’affaires malgache dépose, entre 2008 et 2011, 284 chèques pour un montant de 10,2 millions d’euros. Et ce n’est pas le client le plus prolifique. A Monaco, on s’organise pour traiter l’afflux de chèques. « Tous les jours, on recevait des dizaines d’enveloppes Fedex, raconte un ancien salarié. Les assistantes du service Afrique se plaignaient de n’avoir à faire que cela. »

Pendant des années, la pratique prospère, avec la bénédiction de la direction locale. Ainsi, en 2009, le responsable de la cellule Afrique et le chargé de Madagascar sont débauchés par KBL Monaco (la filiale d’une banque privée belge) pour monter une structure équivalente. En réaction, Dominique Roy, directeur général de BNP Paribas Monaco, se déplace à Madagascar pour convaincre les clients de ne pas changer de banque. Pas de chance, en 2011, un grain de sable met à bas ce beau système. Un salarié en bisbille avec sa hiérarchie (qui lui reproche de ne pas être assez rentable et l’a mis au placard) alerte la direction sur la conformité du trafic de chèques. Une mission d’inspection est envoyée à Monaco. Son rapport, datant d’octobre 2011, ne peut que constater l’évidence : « La mission a relevé un nombre important de remises de chèques en provenance de pays africains. Il apparaît que la banque ne maîtrise pas totalement l’arrière-plan économique d’opérations susceptibles d’être en infraction avec la réglementation du pays de domicile des clients. » Et d’ajouter que cela « génère des risques élevés pour la banque en raison de l’inadaptation du dispositif de conformité ». Décision est prise de tout arrêter, mais personne n’est sanctionné. A l’exception du lanceur d’alerte, qui se voit licencier pour « insuffisance de résultat » et « indiscipline ».

Ménage. Interrogée, la banque reconnaît les faits, mais les minimise. Il s’agissait de « faciliter les achats sur place de touristes ou d’expatriés français sans compte dans les banques locales », explique-t-elle, tout en reconnaissant que, suite au rapport, il a été mis fin à cette pratique « en 2011 et 2012 ». Mais cette histoire inquiète. Fin avril, suite aux révélations de Sherpa, le responsable du Wealth Management de la banque, Vincent Lecomte, s’est rendu à Monaco. Sa mission : s’assurer que le ménage a été bien fait dans les comptes Afrique si la justice s’intéresse de près à l’affaire. Pour l’instant, BNP Paribas peut compter sur la légendaire clémence monégasque. Informé des faits par Sherpa il y a un mois, le parquet de la principauté est resté inactif. « Des investigations vont être menées, assurait hier le procureur général Jean-Pierre Dreno. Mais, au stade actuel, il n’est pas question de saisir un juge d’instruction. »

Sam La Touche, 9 fév 2015

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