Le projet turc en Libye

Parce qu’elle a réussi à occuper une partie de la Syrie, sous prétexte d’en faire une zone tampon entre elle et les Forces démocratiques syriennes, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, croit rééditer le même exploit en Libye. A-t-elle des chances d’y parvenir ? Oui, si les pays de la région, en particulier l’Egypte, l’Algérie et la Tunisie la laissent faire, comme elles avaient laissé le couple franco-britannique détruire l’Etat libyen, il est vrai dans un contexte différent de celui d’aujourd’hui.

Elle n’en a en revanche aucun si les pays du Sahel et ceux du Maghreb s’entendent pour l’empêcher de poser pied en Libye. Ce dont le président turc est venu s’assurer dernièrement auprès des dirigeants tunisiens, ce n’est pas tant de leur disposition à s’inscrire dans son projet d’occupation de Tripoli que de leur neutralité dans le cas où il passe à l’action.

Si au lieu de Kaïs Saïed, son interlocuteur avait été Rached Ghannouchi, maintenant non seulement le président d’Ennahda, le principal parti tunisien, mais le président de l’Assemblée, il serait probablement reparti avec l’assurance qu’il était venu chercher.

En vertu de la Constitution tunisienne, la politique extérieure et les questions de sécurité ne relèvent pas du gouvernement, qui en l’occurrence n’est pas encore formé, mais du président de la République. Cela n’a pas empêché Erdogan de prêter ensuite à ses hôtes ces mêmes propos qu’il avait conçu l’espoir d’entendre d’eux, comme si en Tunisie il était un peu en territoire conquis.

La mise au point de la présidence tunisienne n’a pas dû néanmoins lui déplaire beaucoup, puisqu’elle revenait à réaffirmer la politique de neutralité observée par Tunis dans les affaires libyennes, en dépit donc du développement que compte leur donner la Turquie.

Erdogan n’aurait pas fait le déplacement s’il était certain que les Tunisiens prendraient mal qu’il soit seulement venu chercher de la compréhension auprès d’eux relativement à son projet d’occupation de la Libye.

On ne peut même pas exclure qu’il en ait profité pour les sonder sur le sentiment des Algériens sur le même sujet, espérant sans doute qu’Alger soit dans les mêmes dispositions que Tunis. Maintenant, il se peut qu’à leur tour les Tunisiens n’aient discuté avec lui de la Libye, pour eux carrément un sujet de politique interne, que pour mieux prendre connaissance des intentions qu’il nourrit à cet égard. Il est venu prendre leur pouls, et ce seraient eux qui aient pris le sien. Il n’en reste pas moins qu’il ne pouvait se permettre une démarche de reconnaissance de ce genre qu’à Tunis, où il compte des amis.

La Tunisie est le seul pays arabe où des islamistes sont en train de former un gouvernement. Le seul donc qui puisse être tenté de ne pas condamner sa deuxième occupation d’un pays arabe, après celle de la Syrie.

S’il était certain de trouver un accueil comparable à Alger, nul doute qu’il y aurait fait un saut par la même occasion. Le seul fait qu’il n’ait pas eu une idée pareille prouve qu’Alger est hostile à son ambition libyenne. Ce projet est le même que celui qui a été mis en œuvre en Syrie, au bout de plusieurs années d’approche et d’intrigues.

En Libye, son corps expéditionnaire se trouvera pris entre deux armées qui n’accepteront jamais sa présence à leurs frontières.

En Syrie même d’ailleurs les jours de sa présence militaire sont comptés. Dans le pire des cas, elle ne durera que le temps que le demi-millier de soldats américains restera autour des puits de pétrole de Deïr-ezzour. C’est en vain qu’Erdogan veut ressusciter l’empire ottoman.

Le jour d’Algérie, 31 déc 2019