Maroc : « Moulay Hicham » veut que le Makhzen « périsse »

Rabat.- La très sélecte revue française Le Débat, qui a été fondée par l’historien Pierre Nora en 1980 et appartient aux éditions Gallimard, vient de publier une interview de Hicham El Alaoui, « Moulay Hicham ». Un long entretien de 14 pages dans lequel le détesté cousin du roi Mohamed VI va un peu plus loin dans ses critiques de la monarchie que lors de ses précédentes sorties.

A la première question de son interviewer, Stephen Smith, un ancien journaliste de Libération et du Monde, auteur d’un très remarqué livre sur le général Oufkir, « Moulay Hicham » démarre au quart de tour :

« A la mort de mon oncle, j’ai continué de soutenir publiquement que le makhzen, c’est-à-dire le pouvoir patrimonial au Maroc, devait périr pour que la monarchie vive et serve les Marocains. Je me suis également prononcé contre le califat, autrement dit contre une monarchie sous l’autorité du «Commandeur des croyants» mêlant prérogatives politiques et religieuses. »

En fait, on ne l’a jamais entendu demander la destruction du Makhzen, cette pieuvre, ce Big Brother marocain qui menace, avilit la condition humaine et asservit la bonne trentaine de millions de marocains au nom de traditions moyenâgeuses et dépassées. Mais, c’est un début.

Questionné sur l’« éveil arabe », le prince qui a apparemment évolué, mais pas vers cette évolution qui voulait cacher la révolution, estime qu’il faudrait peut-être cesser d’appeler le réveil des peuples arabes contre les tyrannies un « printemps », qui est une « saison passagère et cyclique ». Pour lui, c’est sûr, le monde arabe ne va pas revenir en arrière ni « se rendormir ».

« Politiquement, je suis persona non grata au palais. »

Mais « dans votre pays, le Maroc, vous êtes plus qu’un observateur engagé, vous faites partie du problème, espérez-vous aussi faire partie de la solution, voire être la solution? », lui lance impudique le journaliste. Déconcerté un moment, « je ne vois pas bien en quoi je ferais partie du problème », il reprend rapidement du poil de la bête en disant pour la première fois, avec ses propres mots, ce qu’il n’avait jamais dit auparavant, même si d’autres l’ont fait à sa place :

« Après la mort de Hassan II, j’ai dit à Mohammed VI avec la sincérité que me commandait mon affection pour lui qu’il fallait réellement changer, qu’il ne suffisait pas de rajeunir le makhzen. Depuis, je n’ai revu le roi, mon cousin, que deux fois, dans des cadres strictement familiaux où nos échanges sont restés courtois et distants, comme l’exigeaient les circonstances. Politiquement, je suis persona non grata au palais. »

Mais cette marginalisation cela ne le chagrine point. Apparemment, il a prévenu il y a douze ans son cousin, qui depuis quelques mois se présente comme le champion de la démocratie dans le monde arabe, des chamboulements à venir. Sans aucun résultat jusqu’à ce que, récemment, les dictatures arabes ne commencent à tomber l’une après l’autre et trembler les Alaouites :

« J’ai dit ce que j’avais à dire, mais je n’ai pas été entendu, ni par Mohammed VI ni par ces bateleurs de l’information qui l’ont présenté, lui, comme le «roi des pauvres» et qui m’ont surnommé, moi, le «prince rouge». Mieux vaut en rire! Alors, j’ai pris du champ en m’installant avec ma famille aux États-Unis, et je me félicite tous les jours de cette décision qui m’a permis de me réaliser sur le plan tant professionnel que personnel. »

Prenant de la hauteur, tant vis-à-vis de l’autocrate alaouite, « j’ai fini par me rendre à l’évidence que je gêne le roi », qu’envers la démocratisation du Maroc, qui n’a pas besoin d’un prince (c’est vrai !) pour aller à son terme, « Moulay Hicham » revendique tout de même une totale « liberté d’expression, sans lignes rouges à ne pas franchir ». Dans un pays truffé non pas de lignes rouges mais plutôt de frontières armées rouges, cette mise au point est la bienvenue.

« On a bourré le crâne des gens dans les mosquées »

En ce qui concerne la farce du référendum constitutionnel, applaudie par ceux qui voulaient bien applaudir, le cousin du roi n’y va pas par quatre chemins. Après les précautions d’usage, « je n’ai aucun doute sur le fait que la réforme constitutionnelle proposée par le roi ait été adoptée par une large majorité des Marocains », il déclare néanmoins que :

« 98 % de «oui» et un taux de participation de 72 %, soit presque le double de la dernière élection, ce n’est pas crédible. La machine à «faire des scores» que l’on espérait remisée pour de bon s’est au contraire emballée : les gens ont été ramassés par des cars, ils ont été conduits vers les urnes comme du bétail électoral et, pour qu’ils comprennent bien ce qui était attendu d’eux, on leur avait bourré le crâne dans les mosquées, le vendredi 25 juin, avec un prêche dicté par le ministère des Affaires islamiques – du jamais vu, même du temps de Hassan II et de son ministre de l’Intérieur maître ès plébiscites, feu Driss Basri! La plus grande confrérie soufie du royaume, la Zaouiya Boutchichia, a été embrigadée tout comme, ce qui n’est pas moins inquiétant, des bandes de jeunes voyous qui ont été commis à monter des «contre-manifestations», parfois violentes. Bref, si une démocratisation progressive était le but, et si – comme je le crois – une majorité des Marocains étaient prêts à avaliser ce projet, pourquoi avoir tourné un référendum de citoyens en beiya (allégeance) populiste? Le modus operandi a démenti le but affiché. Frileusement accroché à ses privilèges, le makhzen a abusé du vote populaire pour la mise en place d’un «parti de l’ordre», d’un rempart pour mieux se mettre à l’abri. Mais c’est un calcul à la petite semaine. La sacralité de la monarchie, abandonnée dans la lettre de la nouvelle Constitution, a été réaffirmée dans son esprit le plus rétrograde par ces pratiques d’un autre âge. Le résultat en est double, et doublement néfaste: d’un côté, les peurs du plus grand nombre – la peur de perdre son gagne-pain, d’être aliéné dans un pays en voie de mondialisation, aux mœurs nouvelles et inquiétantes »

Tout est dit. Et puis, si c’est un membre de la famille royale et régnante qui le répète, lui qui connaît le palais, le régime, les rois et le Makhzen, pourquoi le contredire ?

Ali Lmrabet

Demain Online, 30 sept 2011

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