Discours de Mogherini à Bouar, en République centrafricaine

Discours de la haute représentante/vice-présidente Federica Mogherini à Bouar, en République centrafricaine

Seul le discours prononcé fait foi

C’est pour moi un plaisir d’être en République centrafricaine pour cette première visite que je vous avais promis d’effectuer depuis longtemps, Monsieur le Président [de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra], et que je tenais impérativement à réaliser maintenant pour marquer par ma présence l’espoir que nous plaçons, en tant qu’Union européenne, en ce moment historique dans l’avenir de la Centrafrique.

Je vous remercie de cette opportunité unique d’échange avec vos populations qui nous transmettent par leur joie et leurs sourires, que nous avons vus en atterrissant ici, un message fort et simple: le vivre en paix. Aujourd’hui pour la première fois depuis les nombreuses crises qui ont secoué le pays, nous avons une vraie chance que la paix, une paix durable, puisse revenir en République centrafricaine.

Cinq mois après la signature d’un accord de paix qui réunit toutes les conditions pour marquer l’histoire, la Centrafrique se trouve à la croisée des chemins. Dans ce moment charnière, je voudrais vous renouveler par ma voix, à vous personnellement, et à tous les centrafricains, le soutien et la confiance de l’Union européenne et de tous les Etats membres de l’Union européenne.

Cette même confiance que l’Union européenne et la communauté internationale toute entière vous avaient témoignée le 17 novembre 2016, lors de la Conférence de Bruxelles que j’avais eu l’honneur de co-présider avec vous, quelques mois après votre investiture et après l’inauguration des nouvelles institutions démocratiques: trois ans après, nous pouvons, ensemble, nous réjouir du chemin parcouru et des progrès accomplis et, toujours ensemble, renouveler notre détermination et notre engagement mutuel à poursuivre ce chemin, aujourd’hui marqué, après le retour à l’ordre constitutionnel et la mobilisation massive de la communauté internationale, par une troisième pierre fondatrice: l’Accord de paix.

Où mieux qu’ici, à Bouar, pourrions-nous prendre ensemble la mesure de ce chemin et de ces progrès, dans cette préfecture, dans cette ville qui incarnent autant de symboles pour votre pays et son histoire et où se reflètent plus particulièrement votre vision et la densité de notre partenariat.

Bouar symbolise le tournant auquel se trouve aujourd’hui la RCA: le retour de la sécurité et de la paix, la restauration de l’Autorité de l’Etat et de la justice, le redéploiement de ses forces de défense et de sécurité et de l’administration, la relance socio-économique pour laquelle Bouar, positionnée dans une région dynamique, sur l’axe vital reliant la Centrafrique au Cameroun joue un rôle déterminant pour tout le pays; le retour des nombreux centrafricains réfugiés depuis la crise dans les pays voisins, tout particulièrement au Cameroun et au Tchad; le dialogue, fort, positif et absolument et la Nana-Mambéré vital avec ses voisins, pour un pays enclavé mais aussi riche en potentiel comme la RCA. Bouar symbolise à la fois les défis et les potentialités d’une Centrafrique qui aspire à la paix et à la sécurité.

Je tiens, Monsieur le Président [Touadéra], à saluer ici le leadership, le courage avec lesquels vous avez mené un processus de paix inter-centrafricain unique dans l’histoire du pays. La réalité des faits que nous constatons sur le terrain nous rappelle toutefois que le plus difficile reste encore à faire : mettre en œuvre cet accord, faire respecter les engagements pris et tenir les promesses faites surtout aux populations, par des actes concrets et des changements visibles, cesser les hostilités, arrêter les violences, les massacres et les violations de l’Accord.

Les signataires et les parties prenantes ont l’obligation et la responsabilité de le mettre en œuvre par des faits, comme vous avez commencé à le faire vous-même, Monsieur le Président [Touadéra], et je vous félicite pour les choix très courageux que vous avez faits au nom de la paix sans sacrifier vos principes et les attentes du peuple, jamais. Comme l’ont fait également beaucoup d’acteurs de la société civile, notamment des organisations de femmes, que j’aurai le plaisir de rencontrer tout à l’heure. Mettre en œuvre et faire vivre un accord de paix est une cause nationale qui doit fédérer les forces vives et les forces politiques. Une cause qui doit faire l’objet de toutes les attentions et jamais d’instrumentalisation à des fins individuelles.

Dans cette région, dans cette préfecture, l’Accord a des chances concrètes de réussir. Ici à Bouar nous pouvons voir de premières preuves tangibles sur la voie vers la paix dans le cadre de la mise en œuvre de cet Accord. C’est ici que le désarmement a démarré et a donné de premiers résultats, certes encore très timides, mais significatifs. Il y a des groupes qui ont déjà désarmé et actuellement les membres des autres groupes sont en train de déposer les armes. Nous saluons les actes déjà posés conformément aux engagements pris avec l’Accord de paix et surtout nous encourageons tous les groupes à faire preuve de leur volonté d’aller vers la paix et de rejoindre leurs concitoyens dans la République.

Il est important d’appuyer ces progrès, d’accompagner et d’accélérer le désarmement complet des groupes dans le cadre du programme national de démobilisation et de désarmement pour pouvoir, après cette phase préalable, lancer la toute première Unité Spéciale Mixte de Sécurité, ici à Bouar, que l’Union européenne est prête à soutenir, par la formation des formateurs et un appui financier et logistique aux Unité Spéciale Mixte de Sécurité à travers la Facilité Africaine pour la Paix. Et, le plus important, nous pourrons montrer les premiers dividendes de la paix aux populations: une région sans violence, sans groupes armés, où les enfants pourront aller à l’école et entendre d’autres sons que ceux des armes, où les frères et sœurs qui ont quitté les armes peuvent retrouver le chemin de leurs communautés, où les réfugiés et les déplacés peuvent regagner le pays. C’est la seule voie pour l’avenir et pour le développement.

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de faire ensemble, Monsieur le Président [Touadéra], le déplacement sur Bouar, placé sous le signe de la mise en œuvre de l’Accord et du retour de l’Etat. Tout à l’heure nous allons installer, avec le Président [Touadéra], le Comité de mise en œuvre préfectoral présidé par le Préfet et échanger avec les autorités locales, les anciens membres des groupes armés, les leaders locaux, la société civile et les femmes, dont le rôle dans la mise en œuvre de l’Accord est primordial, étant donné qu’elles représentent 52% de la population en République Centrafricaine.

C’est ici que l’Etat rétablit progressivement sa présence et a fait de la zone ouest un pôle pour la restauration de la sécurité et de son Autorité. La citadelle de Bouar et le Camp Leclerc, où nous lançons aujourd’hui trois projets européens d’appui au redéploiement des forces de défense et de sécurité, sont l’incarnation de cette vision.

La restauration de l’autorité de l’Etat est au cœur de notre action: qu’il s’agisse de mesures d’urgence ou d’actions structurelles, le constat est unanime: l’Etat, avec ses différents services, la sécurité, la justice, le droit, doit être déployé dès à présent afin d’occuper l’espace, reprendre sa place et agir comme garant du vivre-ensemble et de la paix.

Tel est le sens de notre rassemblement ici. Les activités que nous lançons aujourd’hui et qui sont financées par l’Union européenne répondent à l’impératif de combler ce vide car dans la nature le vide ne résiste pas longtemps.

Nos actions visent à permettre de matérialiser la vision, qui est la vôtre, d’une armée de garnison, à travers la création de la première zone de défense pilote ici à Bouar, et d’un redéploiement effectif des forces de défense et sécurité.

Il s’agit de la réhabilitation du Camp Leclerc destiné à devenir le quartier général du commandement de la Zone défense Ouest; nous avons devant nous les toutes premières réalisations de la première phase. Cette intervention se poursuivra par une deuxième phase à partir de l’année prochaine.

Il s’agit également de la construction, avec UNMAS [Service de l’action antimines des Nations Unies], d’armureries et de sites de stockage afin de doter la RCA et les FACA [Forces armées centrafricaines] des capacités de gestion de l’armement conformes aux standards internationaux. La première armurerie est devant nous, d’autres sont situées dans d’autres endroits du Camp. Un dépôt de munitions, situé en dehors du Camp de la ville, est en construction et vous sera remis en début de l’année prochaine.

Il s’agit encore de la construction par CIVIPOL, d’infrastructures, notamment un centre de transmission et de gestion de crise, pour permettre la coordination et l’interopérabilité entre Forces armées et Forces de sécurité intérieure, placées sous la responsabilité de l’autorité préfectorale.

Il s’agit enfin de la construction, en face de ce Camp, d’un nouveau Centre de formation pour les forces de sécurité intérieure, police, gendarmerie, et de la réhabilitation et de l’appui aux postes des forces de sécurité intérieure et des autorités administratives situés sur l’axe, essentiel pour le pays, Beloko-Bouar-Bangui.

Toutes ces actions, qui constituent un effort global de plus de 20 millions d’euros, dont 12 millions sur Bouar, sont des contributions directes au retour effectif de l’Etat et, en ce qui concerne les capacités de stockage de l’armement, à l’atteinte des benchmarks définis par le Conseil de sécurité des Nations unies, en vue de l’assouplissement du régime de sanctions qui s’applique à la RCA.

Comment parler du retour de la sécurité, sans évoquer la mission de l’Union européenne EUTM [Mission de formation de l’UE], acteur clé de la réforme secteur sécurité : près de 200 hommes et femmes, provenant de 12 nations, au-delà même des frontières des nations européennes, qui travaillent main dans la main, comme vous dites je pense, si je ne me trompe pas, « maboko na maboko », aux côtés des centrafricains, pour la montée en puissance d’une armée républicaine, professionnelle et inclusive, au service du pays.

Conformément à votre demande, la mission EUTM a vu son mandat renouvelé maintenant pour deux ans, afin de poursuivre, comme vous le dîtes vous-même, sa mission « d’assurance qualité » de la réforme de l’armée. Un mandat renforcé et étendu, avec un 4ème pilier civil, appelé Interopérabilité en appui au Ministère de la Sécurité publique. EUTM est pour la 1ère fois engagée dans l’encadrement et la formation des 1000 nouvelles recrues FACA, issues du premier recrutement au sein de l’armée ayant eu lieu depuis 7 ans. De nouveaux soldats qui préfigurent l’armée centrafricaine de demain et qui seront formés au camp Kasaï à Bangui et dans ce camp même, avec notamment, ici à Bouar, l’appui de la France, partenaire historique de la RCA, qui dans le cadre de nos efforts conjoints depuis le 22 juin dernier a bien voulu mettre sous le commandement de la mission européenne un détachement national de 43 unités, constituant l’ossature des conseillers et des instructeurs du Centre de formation FACA du Camp Leclerc.

Nous allons tout à l’heure lancer officiellement ensemble la formation initiale de 500 jeunes recrues dispensée par le détachement EUTM de Bouar.

Je tiens finalement à saluer l’arrivée du Général Eric Peltier au commandement de l’EUTM-RCA, qui aura la tâche de poursuivre la mise en œuvre du nouveau mandat en prolongeant le travail accompli par son prédécesseur, le Général Herminio Maïo.

Plus que jamais, Monsieur le Président [Touadéra], l’Union européenne est et restera mobilisée à vos côtés pour accompagner la restauration de l’Autorité de l’Etat, la réforme de la sécurité, le rétablissement de l’Etat de droit, la lutte contre l’impunité et le renouveau de la justice centrafricaine. Autant de piliers, tous essentiels et complémentaires, pour un retour durable de la paix.

Je souhaite un plein succès à la restauration de l’autorité de l’Etat, de la sécurité et de la justice, pour une mise en œuvre effective de l’Accord du 6 février, au profit de tous les centrafricains qui ont droit à la paix.

Je vous remercie.

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Spource : Portail de l’UE

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