Algérie : Le rond-point

par El Yazid Dib

L’on ne tourne pas en rond pour rien. L’on cherche l’issue, le bon chemin, la bonne destination. Cependant les indications sont nombreuses, le plus souvent pernicieuses. Chacun exhibe sa carte, sa propre géographie. Sa feuille de route. Et si l’on remettait tout ça à une consultation générale ?

Tous au nom de la liberté disent des choses au moment où les autres au nom de cette même liberté disent le contraire. L’on se réunit là pour vilipender ceux qui se réunissent ailleurs. Le ridicule c’est que ce beau monde ne cache pas son ardeur déclarative d’aimer son prochain, de respecter son avis tout en lui déniant le droit de dire ce qui lui parait bienveillant. En fait la pensée unique rode toujours dans la tête de ceux qui vantent les vertus de la démocratie.

Ces derniers temps, à la faveur d’un mouvement, d’un hirak ou d’une révolution, c’est selon ; plusieurs manifestations au non d’une liberté d’expression, de comportement ou d’être ont été brandies. Du politique à ce qui s’apparente à l’identitaire, de la centralité des revendications à la disparition de tous ; tout est exposé le vendredi. Rien ne semble pour autant réussir à réunir un semblant de consensus ou sur une personne ou sur une démarche. Dans la mouvance il y a du pêle-mêle. Personne n’est bon, digne et représentatif. Ceux qui furent dans l’opposition façadière durant l’ère maintenant maudite, ceux qui viennent d’embarquer ou ceux que l’on extirpe des annales de l’histoire, aucun n’arrive à créer autour de lui un soupçon d’authenticité. Loin cependant de penser générer une unanimité qui reste d’ailleurs antinomique et chimérique. Pourtant l’on doit bien, un jour ou l’autre avoir un président de la république, un gouvernement, des walis, des députés et bien d’autres cadres.

Les bousculades dans l’événement forcent la création de conviction du pour ou du contre. Les positions des uns et des autres peuvent certes exprimer dans leur diversité une bonne santé de l’état des lieux et d’esprit. Les tenants de telle ou telle position, réflexion, approche, démarche, projection ne laissent nulle tolérance pour pouvoir arriver à un minima consensuel. Ils se chamaillent, ils se tordent le cou, ils sont loin des méninges profondes de cette Algérie aussi profonde que ses crises. A l’une d’elles viennent s’ajouter les humeurs et les recentrages, les racolages et les enrôlements. L’on sent que tout le monde, des créateurs d’avis aux procréateurs de décisions ; sont semble-t-il sommés de s’introduire dans l’une ou l’autre opinion. Alors que dans le principe, l’heure reste à se réinscrire davantage dans cet amour national perdu et qui s’évapore au sein des luttes précaires lesquelles auront un jour ou l’autre une place à l’ombre de l’histoire. A l’instar des péripéties subies dans la chair de ceux tous disparus qui, victimes ou bourreaux, les ont allaitées.

L’hémorragie des scandales et affaires de détournement, de corruption, d’enrichissement illégal et autres griefs malheureux qui se débitent n’arrange que les diagnostics maladifs et hostiles à une guérison terminale. Le pays est en pleine convulsion. Si la nation est malade, son corps social traumatisé, ses coffres vidés, ses poches troués c’est que les soubresauts cycliques qui secouent toute la maison n’ont pu trouver la légendaire contre-attaque d’un peuple ayant vu le pire. Certains sont en prison et pas des moindres, ce sont ceux qui nous ont longtemps gouvernés, d’autres courent toujours. L’essentiel est déjà dans l’installation de ce principe d’absence de l’impunité. Tout un chacun demeure justiciable. La justice doit fonctionner en fonction de la loi et non d’une conjoncture. Loin de satisfaire une opinion avide de justice, elle doit satisfaire l’exigence légale.

Si la bonne rétribution par la grâce d’un baril pétrolier mis à contribution savait faire boucher les luettes et clouer les becs ; la sécheresse économique qui se pointe n’irait qu’en tarissant le confort et la quiétude de tous les indices. Que ceux qui manient les volants, tentent de tracer la bonne feuille route, de choisir le meilleur chemin, d’éviter les péages et les pannes onéreuses et d’aimer surtout dans leur conduite les passagers à bord en les rassurant de la bonne destination. Ne pas parler au chauffeur, ne pas gêner la circulation, préparer sa monnaie en la vérifiant, oblitérer son ticket, laisser la place aux sièges à priorité n’est-ce pas là des règles du voyager-ensemble ? Sauf qu’à son tour le staff conducteur demeure autant tenu par la rigueur et le respect du contrat de transport. Entre une transition et une élection ; la voie est toute indiquée. Le pays se suffit déjà à ses peines, évitons lui l’aventurisme et les longs tunnels. Il est vrai que l’on ne peut refaire un lifting systémique sans faire passer toutes les pièces usagées dans le broyeur de l’histoire. Et lorsque le mal est si profond, comme il l’est ; la seule issue reste la rupture totale. Pas de renouvellement, juste le tout nouveau. Difficile équation opératoire, mais…

L’Algérie est un pays que se partage tout le peuple. Les clans naissent de l’accumulation des enjeux et se disloquent de la disparition des intérêts réciproques. Ils crèchent là où la concurrence est prise pour rivalité et le brio pour une escroquerie. Un ministre quel que soit son verbe, reste une institution, un investisseur reste un créateur de richesse quelle que soit sa fortune. Ainsi le verbe infinitif ou incisif peut, sans la vouloir exciter une conflagration. Pourvu que ce ministre ou le gouvernement à qui il appartient ne soit pas illégitime, honni et blackboulé. Tel en est le cas.

Lorsque le peuple voulait son indépendance, il l’a eue. Lorsqu’il persiste à vouloir sa liberté, il tergiverse et lui fait-on prendre la sécurité comme une antinomie. La liberté est indissociable de la sécurité. Les deux sont des produits sociaux très chers qu’il faudrait chérir davantage. Penser à sauvegarder des libertés individuelles et collectives dans un pays où il était interdit de penser à contre-courant du pouvoir est en soi un combat continuel. Au souvenir frustrant qu’en ces temps là, la liberté se confinait exclusivement dans un pack d’importation ou s’assimilait à un produit impérialiste. Ayant dépassé les premiers balbutiements libertaires, la passion de les accentuer s’est aiguisée au fur et à mesure de l’évolution de la lutte pour le pouvoir. La liberté de ce jour ne peut se limiter à une simple expression sans écho. Elle est multiple et plurielle. En quoi une banderole, un slogan, un sit-in puisse-t-il embarrasser des niveaux supérieurs ? Sauf si cela touche les fondements de la nation, tente de briser l’unité nationale ou menace la sécurité territoriale. La loi doit être aussi juste que forte.

La consécration des libertés est une entité totale. L’exclusion, l’exil forcé ou le refuge politique ne doivent pas s’élever comme ritournelle à une opposition en mal d’ancrage sociétal. L’on n’a jamais vu un français ou un américain affichant nettement son opposition au pouvoir agir à partir d’un Etat étranger. Il le fait de chez lui, avec les siens et sans « la main étrangère ». Tant que l’on a des « opposants » ou des détenteurs d’avis contraires installés ailleurs car interdits de séjour chez eux ; l’on est loin de la liberté d’opinion et de ses connexes expressions. Cependant certains aigris, à contre courant de l’évolution des choses s’empressent à tirer sur tout ce qui bouge. Rien ne leur plait, rien n’arrive à se situer dans leur fil de raisonnement. Bouteflika n’était pas bon, ceux qui lui sont contre le sont aussi. C’est une pathologie chronique de ne rien positiver. L’envers de l’envers.

Renforcer la liberté est un attribut d’un Etat fort qui ne craint pas de sévir là où celle-ci est menacée. La rétrécir par contre, en avoir la trouille à fleur de peau ou en être frétillant ne sera qu’une résistance précaire face à un besoin instinctif et biologique. Car l’histoire qui devra se faire aura à retenir ce rétrécissement comme une honte à dégueuler le jour du bris de chaines. Que de pans historiques dans l’évolution des pays n’aient pas eu à rougir de certains hommes ayant pour raison de survie escamoter les libertés populaires. Laisser-faire dans la règle, laisser-dire dans l’éthique, canaliser le tout dans un contrat social agrée est loin des actions tendant à gadgétiser la démocratie par des libertés à menu fretin.

Il ne peut y avoir de liberté lorsque la liberté des autres est menacée. Ni encore quand les fondements de la nation sont mis à défi où des entêtements sont pris pour une liberté d’expression. Les guerres d’appartenance à telle ethnie, langue, région ne peuvent donner lieu à des espacements de respect ou d’acceptation. L’Algérie est une, indivisible, diversement multiple. Y a-t-il un problème ? Dépeçons-le et prenons la bonne voie. Celle des urnes.

Le Quotidien d’Oran

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