Le film marocain «La guérisseuse» projeté au Festival Manarat : Les visages changeants du pouvoir

«La guérisseuse» (ou M’barka en arabe), le nouveau long métrage du Marocain Mohamed Zineddaine est en compétition au 2e Festival du cinéma méditerranéen de Tunisie (Manarat) qui se déroule jusqu’au 7 juillet.

Dans cette ville minière du Maroc, l’usine de phosphate étouffe le voisinage. Il y a de la poussière et le bruit des machines et du train. Autour, il y a un quartier pauvre qui tente de s’accrocher à la vie dans ses différents parallèles. M’barka (Fatima Attif) est sollicité par les voisins pour ses capacités à guérir et à soulager les malades. Elle est respectée par tous. Mais, elle brutalise son fils adoptif Abdou (Ahmed El Moustafid), qui exécute des tâches ménagères sans rien dire.

Abdou refuse cette situation et fait tout pour apprendre à lire et à écrire avec l’aide de Naïma (Hanane El Kabani) alors que Mbarka lui interdit. Les deux adolescents se retrouvent souvent loin des regards sur les terrasses écrasées par l’usine qui ressemble à un immense robot vertical prêt à tout avaler.

Abdou, qui se déplace en vélo, retrouve souvent Ch’aayba (Mehdi El Arroubi) dans des petites parties de poker. Ch’aayba, sorte de gigolo de bas quartiers, vit de tout, vend des poissons, verse dans le pickpocket, veut gagner des sous avec le jeu. Ch’aayba est attiré de loin par l’intrigante M’barka dont la dureté fait peur aux hommes du voisinage. Il est encouragé par Abdou pour venir visiter M’baraka aux fins de guérir son eczéma. Une relation est tissée au fil fin entre Ch’aayba et M’barka.

Un témoin à la périphérie

Abdou, qui se rend compte des rencontres amoureuses de sa mère, est perdu. Dans une fugue, il se cache dans le refuge curieux d’une jeune fille qui a perdu l’esprit et qui ne cesse de vadrouiller. De loin, elle observe le quartier, ses habitants, les querelles entre voisins, les intrigues entre deux portes, les mensonges dits à haute voix. Elle regarde sans intervenir comme un témoin passif qui aura tout compris. Elle se contente de ramasser des feuilles ou des documents pour en faire un amas dans un coin perdu.

Venue de nulle part, cette jeune folle, cheveux au vent, symbolise une certaine indifférence sociale, peut-être même une conscience tourmentée ou une divinité, comme diraient les anthropologues. Les événements vont s’accélérer.

M’barka découvre au fur et à mesure son vrai visage, comme un pouvoir absolu qui souffle le chaud et le froid, et Ch’aayba sombre dans la colère et le désespoir parce qu’il est rejeté par les autres alors qu’il tente seulement de croire à une existence «normale».

Ch’aayba semble lui aussi, comme la folle de la périphérie, venir de nulle part, ni attache ni famille. Il peut symboliser le peuple qui cherche à vivre et qui se débrouille comme il peut pour le faire. Ch’aayba a perturbé Mbarka mais a subi les conséquences après. Abdou se trouve coincé entre plusieurs territoires et ne sait plus quoi faire. Va-t-il fuir avec Naïma ? Va-t-il verser dans la boisson ? Va-t-il quitter la maison et partir vers un autre univers? L’adolescence est le champ de tous les rêves et de tous les excès.

Un conflit avec la grand-mère

M’barka, qui se joue de tous, est une métaphore du pouvoir ou des pouvoirs, autant que l’usine de phosphate. Qui va remettre en cause Mbaraka, la respectée de tous, ou réclamer la fermeture de l’usine, source de richesses ?

Réaliste, «La guérisseuse» de Mohamed Zineddaine, qui ressemble à un conte populaire, s’approche de la tragédie grecque. Il dénonce autant la modernité, qui n’apporte pas le bonheur, que le système traditionnel qui enchaîne les gens. Le refus du savoir, comme c’est le cas pour Abdou, s’explique par cette volonté de vouloir asservir davantage la société par l’ignorance.

Mohamed Zineddaine, qui a déjà réalisé trois longs métrages «Colère» (2013), «Tu te souviens d’Adil» (2008) et «Réveil» (2005), joue sur l’ambigüité, laisse son spectateur interpréter l’histoire à sa manière. «Dans l’ambigüité, il me faut un personnage qui est l’alter égo du réalisateur ou scénariste. D’où le choix du personnage de fille solitaire ou la folle, une sorte de mirage ou de témoin», a-t-il expliqué lors du débat qui a suivi la projection à la salle Al Alhambra, à El Marsa. Olivier Bombarda, qui a co-écrit le scénario avec Mohamed Zineddaine, a évoqué, dans une interview, un récit nourri par les souvenirs du réalisateur.

La grand-mère de Mohamed Zineddaine, qui est natif de Oued Zem, était guérisseuse. Il n’aimait pas vraiment ce qu’elle faisait. «Ma grand-mère avait un grand pouvoir sur tout le quartier. J’étais témoin de ses pratiques. Je n’ai jamais résolu ce conflit avec ma grand-mère. Nous sommes comme un théâtre, tous les personnages sont en nous, et on se libère de ce qui nous fait mal», a-t-il confié. Pour lui, le scénario reste ouvert jusqu’au dernier clap. «Tant qu’on n’a pas bouclé le tournage, on ne ferme pas la parenthèse du scénario», a-t-il noté.

En Italie, où il est installé, Mohamed Zineddaine, qui est également journaliste et photographe, a réalisé plusieurs documentaires comme «Gorizia, au-delà des confins», «Près du silence» et «La vieille danseuse». « La guérisseuse», projeté en avant-première mondiale au festival de Marrakech, en décembre 2018, a décroché plusieurs prix dont ceux du jury et du meilleur réalisateur au festival de Tanger (consacré au cinéma marocain).

Source : Reporters Algérie

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