Santiago Jiménez : « Obama est sensible à la protection des droits de l’homme au Sahara »

Fatma Daoudi, victime de la répression du 26 avril 2013. La police marocaine
lui a coupé les doigts qui faisant signe de victoire.
L.T.A : Comment expliquez-vous l’initiative engagée par les Etats-Unis en faveur de l’élargissement de la mission de la Minurso à la surveillance des droits de l’homme au Sahara occidental sachant que le Maroc est leur allié traditionnel ? 
Santiago Humberto Jimenez : L’attitude des Etats-Unis s’explique, d’une part, par une plus grande sensibilité de l’Administration Obama et de son actuel Secrétaire d’Etat John Kerry par rapport à la légitimation et à la protection des droits de l’homme, conformément aux principes de base du droit international. Elle s’explique, d’autre part, par les pressions exercées sur les Etats-Unis, à travers la publication des rapports (sur la situation au Sahara occidental), par les Nations unies et par le Centre Robert F. Kennedy pour la justice et les droits de l’Homme animé par Mme Kerry Kennedy, la fille de Robert Kennedy. Ces informations convergent avec les propres conclusions du Représentant personnel du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental, Christopher Ross, et avec celles de membres de l’ambassade des Etats-Unis à Rabat. Toutes ces informations ressortent dans le rapport du Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon au Conseil de sécurité. L’entretien de l’alliance traditionnelle des Etats-Unis avec le Maroc ne passe pas nécessairement par un soutien aveugle des Etats-Unis aux thèses marocaines, à plus forte raison quand elles n’avancent pas vers la recherche de solutions (au problème du Sahara) mais prolongent plutôt le statu quo, favorable au Maroc, qui engendre un climat de tension et de déstabilisation de la région. 
Pourquoi donc Susan Rice a-t-elle modifié son projet de résolution ? 
Comme vous le savez, il est nécessaire que la proposition formulée par ledit groupe des Amis du Sahara, dont peu d’entre eux, soit dit au passage, sont vraiment capables de ce sentiment d’amitié et sont disposés à favoriser les instruments de médiation, mais sont, en revanche, plutôt soucieux de la sauvegarde des intérêts des grandes puissances, soit consensuelle et acceptée par tous ses membres. Les réticences de l’Espagne et la fermeté de la France et de la Russie ont imposé la recherche de solutions alternatives. La modification introduite ne faisait que la recommandation générique d’exprimer la préoccupation de tous pour le respect des droits de l’homme et d’octroyer la mission de surveillance des droits de l’homme au HCR. Or cet organisme n’a pas la compétence, ni d’ailleurs les moyens d’accomplir une tâche de cette importance, et encore moins la capacité opérationnelle face à d’éventuelles violations des droits de l’homme qui, il faut le rappeler, se produisent quotidiennement sous silence de la communauté internationale. C’est là que se situe la coupable responsabilité de tous. 
François Hollande semble avoir emboîté le pas à la droite française qui soutient l’occupation du Sahara !
A mon avis, s’il y a un changement dans le discours du gouvernement Hollande, dans la pratique il n’y a rien de changé. La France continue de défendre à outrance ses intérêts au Maroc, à travers la protection d’un fidèle allié de la francophonie face au peuple sahraoui qui n’a jamais accepté la domination française sur la région. Durant la période coloniale, il avait opté pour un rapprochement de l’Espagne, ce que la France a perçu comme un acte d’animosité envers elle. D’où la vision répandue que ce peuple a été placé sous protection de l’Algérie avec laquelle la France n’a même pas été capable de panser les blessures du passé et de s’engager dans une politique mutuelle de respect et de convivialité. Tant que la France n’opérera pas avec audace un changement dans ses positions sur le Maghreb pour qu’elles soient plus équilibrées et continuera d’user de son droit de veto aux Nations unies, il ne faudra pas espérer de solution juste, équitable et conforme au droit international pour la question du Sahara occidental.
Par quoi peut s’expliquer la position de la Russie qui soutient, pourtant, le droit à l’autodétermination du Sahara ?
Je ne suis pas un expert de la politique russe. Je ne dispose pas d’éléments pour faire une évaluation objective à ce propos. Il me semble, toutefois, que la Russie (qui s’est opposée à la proposition américaine aux côtés de la France) a voulu, d’une part, préserver des intérêts économiques concrets, dans le secteur de la pêche notamment, avec la présence de sa flotte dans la zone située entre les Canaries et le Sahara d’où elle a été sommée de lever l’ancre par les organisations non gouvernementales qui défendent la préservation des ressources naturelles du Sahara occidental. D’autre part, au plan politique, la Russie s’est opposée à l’initiative américaine pour empêcher les Etats-Unis de jouer un rôle protagoniste dans la région avec de possibles répercussions sur la politique globale au Sahel et au Sahara et, dans une plus large mesure, en Afrique et dans le monde entier. 
Selon la presse espagnole, l’Espagne développe un double langage. Margallo soutient que la mission de surveillance des droits de l’homme par la Minurso «n’est pas fiable». Qu’en pensez-vous ?
S’agissant de la question sahraouie, tous les gouvernements espagnols, y compris celui d’aujourd’hui, se sont retranchés derrière un langage ambigu, et n’ont pas mené d’action adéquate au règlement de ce conflit. Cette attitude qui se prolonge encore s’explique par des intérêts géostratégiques du puissant lobby pro-marocain et la défense d’intérêts particuliers au détriment de ceux de l’Etat en tant que collectivité. Les politiques de groupe ou de faction s’opposent aux grands principes et aux intérêts généraux. L’Espagne a éludé ses responsabilités légales comme puissance administrative au Sahara occidental et les engagements pris en matière de décolonisation de ce territoire. Toute autre attitude favorise la conquête militaire et l’annexion de l’ex-colonie espagnole par le Maroc qui refuse au peuple sahraoui le droit à l’autodétermination et de disposer de son destin. Ceci dit, je ne crois pas que M. Margallo (le ministre espagnol des Affaires étrangères) ait insinué (comme l’a rapporté la presse) que la Minurso est un organisme inefficace, au moment où son mandat est prorogé d’une année. L’idée est que les droits des Sahraouis ne doivent pas être protégés et doivent rester sou
mis à l’arbitraire de la justice de l’occupant, soumis donc à la domination des autres et non pas garantis par la justice et le droit. Les craintes du gouvernement Rajoy sont, en définitive, les mêmes que celles de tous les gouvernements qui l’ont précédé depuis 1975 (date de la mort du général Franco), avec quelques nuances peu significatives. Le problème de Ceuta et Melila, le trafic de drogue vers l’Europe à travers des routes africaines, la collaboration dans la lutte contre le terrorisme, spécialement le terrorisme djihadiste, sont autant de raisons qui expliquent cette attitude passive et peu responsable. Ni les préoccupations pour les droits de l’homme, ni l’aide au développement ou dans les cas de catastrophe, ni la garantie de la sécurité internationale ne doivent être soumises au jeu des intérêts des Etats, mais doivent dériver de la pratique commune du respect, de la solidarité et du soutien mutuel en cas de danger. Toute autre attitude commue à la communauté internationale d’aujourd’hui ne fera qu’accroître les tensions et les malentendus dans un monde où priment la convivialité et le bien-être de tous.
Santiago Humberto Jimenez est professeur à l´Université de Santiago de Compostelle 

Les Echos d’Algérie, 27 avril 2013

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